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 Putain de vie et vice versa

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Karoloth
Poète
Karoloth

Messages : 884
Date d'inscription : 12/12/2010
Localisation : Draveil

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MessageSujet: Putain de vie et vice versa   Putain de vie et vice versa EmptyDim 15 Mai - 10:06



Elle en avait fait des rêves dans ce train qui la conduisait à Paris. Ils s’étaient envolés, étaient retombés en pluie. Elle en avait marre des hommes, des hommes et de leurs saloperies. Elle en avait marre de sa vie, de sa vie et de ce boulot. Sur son bout de trottoir, pendant qu’elle prenait des pauses au passage des automobiles, elle pensait à son pays, le pays des « je t’aime », le pays de ses amis.
Elle en avait fait des rêves dans ce train. Elle s’était vue au bras d’un garçon qui allait lui offrir son existence, un garçon qui deviendrait un homme en lui faisant un enfant, un homme sur l’épaule duquel elle allait pouvoir se reposer quand le vent des tempêtes de la vie se mettrait à tourbillonner. Et puis…, et puis, celui qu’elle avait croisé dans cette gare immense où la foule drainée vers les couloirs ne voyait rien, celui qui lui avait plu dès le premier regard, celui-là ne possédait aucune des qualités qu’elle espérait, n’était pas ce qu’il prétendait être. Il était beau, voilà tout, et avait le sourire d’un ange. Pouvait-elle s’imaginer que derrière lui se cachait la grimace d’un diable ?
Il l’avait abordée sous un prétexte futile. Lui avait-il demandé l’heure, du feu pour allumer sa cigarette, ou autre chose ? Elle ne s’en souvenait plus. Par contre, elle revoyait toujours son visage et l’expression sauvage qu’il affichait lorsque le coin de ses lèvres s’étirait en laissant apparaître ses dents de carnassier. On pouvait dire ce qu’on voulait de Marc, il s’appelait Marc, ses défauts étaient innombrables, mais ce qu’on ne pouvait nier, c’est qu’il possédait un charme prodigieux, même si l’on devinait immédiatement en lui une brutalité inquiétante. Peut-être était-ce là son attrait principal, ce talent à dominer les autres du regard sans avoir à se montrer menaçant. Sans effort, il distillait la crainte autour de lui, la crainte et une étrange séduction. Presque tous ceux qui l’approchaient y étaient sensibles, même les autres hommes. Il en usait pour attirer à lui ceux qu’il voulait soumettre et coucher dans son lit. Pour l’amour, il les préférait aux femmes. Elle s’en était aperçue plus tard, trop tard.

Donc, elle était descendue du train en même temps que de ses rêves naïfs et avait trainé sa valise à roulettes derrière elle jusqu’au bout du quai. Là, elle s’était arrêtée et s’était interrogée : « et maintenant qu’elle avait franchi l’espace qui la séparait de son avenir, qu’allait-elle faire dans ce monde étranger, si affairé qu’il ignorait sa présence ? » Marc était apparu devant elle avant qu’elle ait eu le temps de décider quelle direction elle allait prendre. Il était beau, est-il utile de le redire ? Il se mit à parler et ne sut plus s’arrêter que pour l’écouter reconnaître la justesse de ses propos, dont pourtant elle n’entendait rien, ou la regarder glousser bêtement. Ses mots lui faisaient l’effet d’une liqueur sucrée. Pareillement à elle, dégoûtant peu à peu dans son âme, ils l’enivraient. Était-ce ses mots ou la profondeur de sa voix ? Parfois, l’un d’eux s’échappait de son chapelet confus et résonnait d’un ton plus particulier que les autres. Elle rougissait, car d’une manière détournée et habile, il lui disait qu’elle était belle, que son cœur à lui tremblait déjà pour elle, qu’il l’attendait depuis toujours. Son rêve était là, devant elle, et elle flottait dans les airs. Lui, comme il voyait ses joues rosir, il comprenait que ses paroles avaient touché leur cible, alors pendant que des yeux il continuait à l’hypnotiser, ses lèvres dessinaient un large sourire prédateur qui achevait de la séduire.
Après quelques minutes passées dans les courants de l’air frais de l’hiver qui se glissait partout dans cette gigantesque construction par mille portes ouvertes, comme elle frissonnait, il proposa de lui offrir une boisson chaude et de se réfugier ensemble dans un endroit plus à l’abri. Elle le suivit confiante, éprise, et dès lors perdit les commandes de sa vie.

Depuis, les années avaient passé et elle ne saurait expliquer très exactement comment, à force de séduction, de trahisons, de tromperies, de violences multiples aussi, lui en était arrivé à faire d’elle plus une chose qu’un être ; comment il l’avait contrainte à lui abandonner son corps, le seul bien qu’elle possédait réellement ; comment il l’avait tuée tout en lui laissant l’apparence des vivants ! Mais il ne l’avait pas anéantie seul, tous ceux qui pour un gros billet s’étaient allongés sur elle avaient contribué à la briser. C'est pourquoi elle haïssait les clients. Eux le ressentaient et souvent lui préférait une voisine à cause de cela.

Un jour, un type qu’elle connaissait de vue et de réputation, terrifiante réputation, était venu la trouver et lui avait dit : « À partir de maintenant, tu es à moi. Les vacances, c’est fini. Tu m’as coûté cher, alors t’as intérêt à me ramener du fric si tu ne veux pas que je m’occupe de ton cas. » Tout en cet homme était cruauté.
Il lui avait fallu réapprendre à sourire dans l’urgence et à faire bonne mesure lorsqu’un homme se couchait sur son ventre. Pour l’aider à accepter son sort, on lui donnait toutes sortes de trucs, de l’alcool bien sûr, mais aussi des médicaments et une certaine poudre magique qui, quand elle se glissait dans ses veines, lui faisait faire de jolis rêves emplis de lumière. C’était sa récompense ultime lorsqu’elle avait bien gagné et que le manque la travaillait trop. Mais ces succédanés au bonheur qu’elle avait perdu, qu’elle n’avait jamais trouvé, suffisaient avec peine à lui rendre son existence supportable. Pour cette raison, elle gardait en elle la secrète certitude qu’une porte de sortie restait ouverte et qu’elle la franchirait au moment voulu. Souvent, elle y pensait pendant que les images qu’elle s’inventait défilaient devant ses yeux grands ouverts :

« Un jour, se disait-elle, lorsque ma vie aura véritablement perdu tout son sens, que d’imaginer la voir se prolonger me sera devenu insupportable, je me jetterai du haut d’un pont. Les eaux noires de la Seine s’ouvriront alors pour moi et me recouvriront comme une chaude couverture. On retrouvera mon corps loin en aval de la capitale et sa présence dans ce lieu deviendra un mystère qui ne sera jamais élucidé. Des gens que je n’aurai pas connus, touchés par mon histoire, viendront déposer des fleurs sur la berge du fleuve à l’endroit même d’où j’aurai été tirée hors de l’eau par un pêcheur de perche arc-en-ciel. Tous les ans, les abords se couvriront de bouquets multicolores posés là en souvenir de moi, de cette pauvre fille noyée dont on ne connaitra rien, mais dont on imaginera la fin tragique, accidentelle sans doute. « L’inconnue du fleuve », c’est ainsi que l’on m’appellera et dans le cimetière de la commune, il y aura une tombe, dessus ces simples mots seront gravés dans le marbre et dessous, à tous jamais, je dormirai.
Ne serait-ce pas une belle fin pour mon histoire ? Peut-être trop. Quitte à me balancer d’un pont, je choisirai plutôt celui du périphérique. De préférence à une heure à laquelle la circulation est dense sans ralentir pour autant la vitesse des véhicules. J’attendrai appuyée sur le garde-corps jusqu’à ce que je voie s’approcher un long semi-remorque engagé sur la file du milieu et quand il sera à la bonne distance, je plongerai dans le vide. La chute sera courte, mais laissera le temps au conducteur de me voir. Pris de panique, il cherchera à m’éviter en donnant un coup de volant à droite ou à gauche, les pneus crisseront et sembleront s’enflammer tant la fumée qu’ils dégageront sera épaisse, en vain. J’atterrirai juste sous une roue. Mon corps éclatera sous le poids du tracteur, exposant aux yeux du monde mes organes salis. Dans le même temps, la remorque se mettra en travers de la route dressant soudain un obstacle devant les autres véhicules qui viendront s’encastrer dedans et les uns dans les autres, créant un gigantesque carambolage. La mort sera partout au milieu des tôles broyées, au milieu des flammes. Moi, en partie large flaque de sang répandue sur l’asphalte et masse de chair déchiquetée, je rirai. Non ! Je ne partirai pas dans le silence et l’anonymat. C’est un tintamarre qui accompagnera mes dernières secondes. Tous sauront ce qu’a été ma vie, tous paieront de ne m’avoir pas secourue alors que le danger était sur moi, de n’avoir pas entendu mes cris de rage, de désespoir, mes pleurs, le silence de ma soumission. Oui, c’est ainsi que je m’en irai. »

Elle imaginait d’autres scénarios encore, parfois plus sanglants, parfois moins, mais toujours elle entendait se venger pour la douleur qu’elle ressentait depuis trop longtemps et que ce monde préférait ne pas reconnaître, pensait-elle. Comme bien des opprimés qui n’ont pas totalement renoncé à la révolte, elle était prête au pire pour déverser le trop-plein de sa détresse, tant pis si, au passage, quelques innocents devaient avoir à payer une note qui n’était pas la leur.



Dernière édition par Karoloth le Lun 16 Mai - 22:24, édité 1 fois
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féfée
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MessageSujet: Re: Putain de vie et vice versa   Putain de vie et vice versa EmptyDim 15 Mai - 12:33

Un texte dur et violent, touchant, mais j'ai aimé ! J\'aime ! flower
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lutece
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lutece

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MessageSujet: Re: Putain de vie et vice versa   Putain de vie et vice versa EmptyDim 15 Mai - 18:34

J'ai aimé ton récit. Et elles sont maheureusement légion, ces filles qui succombent aux charmes d'un bellâtre et se retrouvent prise dans un engrenage d'où la seule échapatoire,semble pour elles, être la mort. J'aime aussi l'image (même si elle fait peur) de "la prostituée kamikaze" Bravo 2 affraid .
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Damona Morrigan
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MessageSujet: Re: Putain de vie et vice versa   Putain de vie et vice versa EmptyMer 18 Mai - 11:09

Bel écrit, bravo. Je suis touchée.
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quelemondeestbeau
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MessageSujet: Re: Putain de vie et vice versa   Putain de vie et vice versa EmptySam 2 Juil - 11:04

Quel texte... Il m'a vraiment émue, bravo.
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MessageSujet: Re: Putain de vie et vice versa   Putain de vie et vice versa Empty

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