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 UN MONDE DE DINGUES

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Karoloth
Poète
Karoloth

Messages : 884
Date d'inscription : 12/12/2010
Localisation : Draveil

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MessageSujet: UN MONDE DE DINGUES   UN MONDE DE DINGUES EmptyJeu 24 Mar - 20:19

Ils ont débarqué chez moi à l'aube dans un fracas de porte brisée. Je me suis réveillé en sursaut, mais à peine avais-je posé le pied sur le sol que deux types casqués, gonflés comme des Bibendum Michelin et armés jusqu'aux dents surgirent dans la chambre en hurlant.
- Police ! Police ! À terre !
C'est le genre de circonstances où l'on ne se pose pas de questions. On obtempère. Ma femme qui avait généralement un réveil difficile ne l'entendit pas de cette oreille et se mit à gueuler à travers la pièce jusqu'à ce que l'un des baraqués lui fasse fermer son clapet. Une taloche, un petit balayage et... couché, au pied ! Rah ! Y a pas à dire, y en a qui savent parler aux femmes. Mais bon, l'heure n'était pas aux digressions. En dix secondes, je me retrouvai menotter les mains dans le dos et assis sur le rebord de mon lit sans vraiment avoir eu le temps de comprendre comment j'étais revenu dans ma position initiale. Marianne était de l'autre côté du lit dans la même situation. Mais elle se tenait coite à présent, le pif sanguinolent. Le malabar qui lui avait à moitié pété le nez jeta un rapide coup d'œil dans l'armoire et sous le lit puis comme il se tournait vers l'entrée de la chambre, il gueula :
- C'est bon mon capitaine, ils sont maîtrisés !
Un grand type à moustache portant imperméable fit son entrée avec la prestance du flic d'un film de série B.
- Monsieur Caron Benjamin ?
- Heu... Oui.
- Je suppose que vous savez ce qui nous amène ?
- Heu... Non.
- Foutez-vous de ma gueule, vous êtes bien parti pour prendre le maximum.

Il sortit un papier couvert de tampons officiels sur lesquels ont reconnaissait immédiatement les deux grosses lettres de la M . J mis en place de Maison de la Justice. C’était un mandat de perquisition, un euphémisme pour « permis de tout virer de chez toi ». Merde, j’étais mal, mais j’avais encore l’espoir qu’il passerait à côté de ma planque sans découvrir ce que j’y avais caché. En malin que je suis, j’avais choisi un endroit qui avait peu de risque d’être révélé par la fouille. Jamais, pensais-je, personne n’aurait l’idée d’aller y fouiner. Mais, quand après que ses hommes eurent dévasté l’appartement dans son entier, le capitaine sortit un cran d’arrêt de sa poche et le planta dans mon matelas, je sus que c’en était fini de moi.
- Putain ! Dit-il. Tous les mêmes. Le classique reflex ancestral.
Il avait fendu la toile du matelas sur un bon mètre et de celle-ci s’échappaient maintenant des dizaines de billets de banque de dix, vingt et cinquante euros. Une fortune ! Au moins dix mille euros en tout.
- Qu’est-ce que c’est que ça ? Demanda-t-il.
- Des économies. Répondis-je avec honte.
-Des écos ! Tu es vraiment une belle ordure ! Me lança-t-il alors en affichant une grimace qui témoignait du dégoût et du mépris que je lui inspirais.

Un autre flic en civile rappliqua avec un sac plastique dans la main et entreprit de vider le matelas pour faire le compte de ce que j’avais mis de côté. Quand il eut fini, il annonça fièrement : « Dix-mille-cinq-cent-soixante-dix euros ! Bah, mon pote, t’es mal barré ! » Après ça, ils nous emmenèrent, ma femme et moi, dans le salon où nos trois enfants attendaient en pyjama assis en ligne sur le canapé qu’on veuille bien leur expliquer ce qui se passait. J’eus honte en me rendant compte qu’ils étaient là. Ces salops de keufs ne m’avaient pas permis de m’habiller et comme il faisait très chaud pendant la nuit, j’avais pris l’habitude de dormir en slip. C’est donc ainsi vêtu, les mains attachées dans le dos que je leur apparu. Heureusement encore que je n’eusse pas eu le mauvais reflexe, la veille au soir, de me mettre nu. C’est à poil qu’ils m’auraient découvert.
En me voyant, le plus jeune de mes fils esquissa un mouvement qui pouvait laisser croire qu’il allait se mettre debout, mais un costaud le coupa immédiatement dans son élan et le repoussa sur son coussin.
C’est le moment que choisit Marianne pour l’ouvrir.
- Espèce de pauvre con, murmura-t-elle, je t’avais bien dit d’arrêter tes conneries !
- Quoi, vous étiez au courant ? Questionna le capitaine qui l’avait entendue.
Elle baissa la tête et prit une voix de petite fille que je ne lui connaissais pas.
-Oui, avoua-t-elle, mais je ne m’imaginais pas qu’il s’agissait d’une somme aussi importante. Je pensais que mon mari avait caché deux ou trois cents euros, rien de plus. Juste de quoi voir venir un peu.
Elle mentait mal. Tout le monde s’en rendait compte, même les gosses, mais je n’eus pas le cœur de la contredire et je pris sur moi toute la faute alors qu’au départ nous avions bien convenu d’économiser ensemble. C’est de cela qu’il était question, d’un crime innommable. J’étais passible du tribunal et le chef d’accusation tenait en un mot : thésaurisation.
Quelques années plus tôt, peut-être moins de dix, je n’aurai guère été inquiété, mais entre-temps la loi Garry Rothschild avait été votée. Elle s’appliquait pour tous les habitants des pays industrialisés, même faiblement, du Maroc à la Chine en passant par le Pérou et la Papouasie. Soit pratiquement toutes les nations. Le texte de loi était simple et compréhensible par tous et l’on pouvait le résumer ainsi : « de bas de laine, tu ne confectionneras point ! »
C’était une loi inique de mon point de vue, mais c’était la loi. L'eau qu'on tirait du moulin, on devait immédiatement la reverser en amont de la rivière, c'était la règle. Soit en consommant, soit en investissant dans des actions. Je risquais gros pour l’avoir enfreinte. Ce qui était certain, c’est que l’argent que j’avais planqué dans mon matelas allait être saisi et que je n’en reverrai pas un cent. Puis, selon la décision qui suivrait mon jugement, je devrais payer l’amende forfaitaire de cinq mille euros et rembourser le double de ce qu’aurait rapporté cet argent s’il avait été placé judicieusement, plus des bricoles rajoutées pour indemniser les quelques banques qui ne manquent jamais de se porter civile dans ce genre d'affaires. Au total, c’est plus que ce que j’avais eu tant de mal à mettre de côté qu’il me faudrait sortir. Bien sûr, il me serait impossible de tout payer en une fois.
Il est interdit d’épargner et tous les comptes en banque doivent présenter un solde près de zéro à la fin de chaque mois avec un maximum de cent euros en positif. Cette règle je la respectais, mais il est vrai que nous vivions si chichement que notre train de vie ne pouvait qu’attirer l’attention. Nous roulions dans une vieille Marbella des années quatre-vingt-dix que je réparais moi-même, nous n’avions aucun crédit en cours depuis longtemps et les gosses ne portaient pas un seul vêtement de marque. J’aurais dû le savoir que je courais à ma perte, que tôt ou tard, je serais dénoncé. Mais, que voulez-vous, on ne veut jamais croire que la prochaine salve sera pour soi.
Donc, pour payer les frais de tribunal et tout le tintouin, je devrais prendre un crédit à trente pour cent qui achèverait de nous mettre sur la paille. L’avenir, je le connaissais déjà. Je ne donnais pas trois mois à Marianne pour foutre le camp avec les gosses, en me laissant les miens, mes dettes dont je venais de la dégager d’un mot. De là, je ne serais rapidement plus capable d’assurer le paiement de mon loyer. Seul, il est impossible d’avoir un toit avec le salaire minable que je fais. Ce qui en découlerait est évident, je me retrouverais SDF, ce qui est parfaitement illégal. Il me faudrait dès lors vivre caché, mais inévitablement, un jour, je serais arrêté. Un SDF, dans le monde d’aujourd’hui ne passe jamais longtemps inaperçu, et alors, pour moi viendrait le temps du service civil obligatoire. On m’embarquerait avec d’autres de mon espèce pour travailler dans les endroits les plus ingrats et dangereux de la planète, les mines d’uranium, de soufre, les terres agricoles de Tchernobyl, de Fukushima, sur les sites contaminés au plomb, au mercure, au chrome, à l’amiante. Il n’y aurait que l’embarras du choix.

Il n’y a pas trente-six échappatoires à ce genre de situation, mais il n'était pas question de penser à la première qui vient à l’esprit. Le suicide est un crime et est jugé comme tel. Toutes mes dettes retomberaient sur ma descendance. Je ne pourrais pas décemment faire porter le poids de mes conneries à mes enfants. Ce serait trop indigne. La seule porte de sortie honorable serait l’euthanasie assistée. C’est cher, soit, mais bien moins que les dettes que j’aurais accumulées et du coup, je serais déclaré en cessation de paiement pour faillite mortuaire et voilà tout. Il me suffirait de demander à ma famille de bien vouloir prendre un petit crédit pour m’aider à atteindre cet objectif. Si mes parents, mon frère et Marianne acceptaient de s’endetter pour m’éviter l’enfer, il leur suffirait d’emprunter chacun mille euros et l'affaire pourrait être conclue. Mais il faudrait que cela se fasse avant le jugement qui pourrait survenir dans les trois mois, tant qu’aucun créancier ne me serait connu.

Voilà quelles étaient mes idées à cet instant, au milieu de mon salon envahi de flics. Elles se condensaient en une phrase : « Merde ! Pourvu que j’arrive à trouver le fric à temps.
»


Dernière édition par Karoloth le Ven 25 Mar - 8:32, édité 1 fois
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lutece
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lutece

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MessageSujet: Re: UN MONDE DE DINGUES   UN MONDE DE DINGUES EmptyJeu 24 Mar - 20:50

...Ca fait froid dans le dos, je vais de ce pas éventrer mon matelas pour me rendre dans un temple de la consommation afin de renouveler tout mon électro ménager vieillissant (et un nouveau matelas bien sûr)! Merci de cette nouvelle qui met en garde les mauvais citoyens qui thésaurisent sur les conséquences de la non consommation!! diable noir Bravo !
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féfée
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féfée

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MessageSujet: Re: UN MONDE DE DINGUES   UN MONDE DE DINGUES EmptyJeu 24 Mar - 22:59

Qui sait ?? Une loi qui pourrait bien passer un jour ! Il faut dire, on est tellement manipulés pour consommer... Un récit qui m'a bien amusée ! Petit fou rire You are the best J\'aime !
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Damona Morrigan
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Damona Morrigan

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Localisation : Dans la cabane de la sorcière blanche sur l'île d'Emeraude

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MessageSujet: Re: UN MONDE DE DINGUES   UN MONDE DE DINGUES EmptyVen 25 Mar - 10:08

Sacrée histoire et de l'humour signé mister K sur des sujets d'actualités ! Merci pour la mise ne garde mais je ne risque pas grand chose, mon compte est souvent dans le rouge avant l'heure ! Bravo en tout cas pour cette imagination débordante sur fond de vérité !
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Chéri Bibi
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Chéri Bibi

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MessageSujet: Re: UN MONDE DE DINGUES   UN MONDE DE DINGUES EmptyVen 25 Mar - 13:00

Maou quel maître conteur ! A la prochaine réunion du haut conseil des magiciens et des sorciers j'aimerais que vous me fassiez l'honneur de votre visite et peut être auriez vous l'amabilité de nous conter quelques petites histoires !!! J\'aime ! the winner is Enchanté ! Maou, très bonne journée !
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Apolline
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Apolline

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MessageSujet: Re: UN MONDE DE DINGUES   UN MONDE DE DINGUES EmptyMer 30 Mar - 0:19

Ouh la la, comme le dit Lutèce, ça fait froid dans le dos... Big brother est là pour tout planifier... Vision d'horreur.. Bravo pour ton talent d'écriture et ton imagination. J'ai adoré. :0054: Belle écriture !
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Philippe W
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Philippe W

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Localisation : Colmar

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MessageSujet: Re: UN MONDE DE DINGUES   UN MONDE DE DINGUES EmptyJeu 31 Mar - 18:42

Une histoire captivante écrite dans un style populaire qui m'a subjugué. bravo à toi pour ton travail.
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Baba yaga
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Baba yaga

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MessageSujet: Re: UN MONDE DE DINGUES   UN MONDE DE DINGUES EmptySam 16 Juil - 16:48

Bon, plus je te lis, plus je me dis qu'hélas pour moi, avec mes vers de mirlitonne, je ne joue pas dans la même cour...Smile
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