Ô toi qui viens de tuer ton ennemi,
Empresse-toi de t’en inventer un autre
Pour donner un sens à ta vie,
Car la joie que te procure ton acte est éphémère.
Et alors, de quoi te réjouiras-tu,
Lorsque les jours auront passé ?
De quelle haine nourriras-tu ton âme ?
Vite, vite, découvre-toi un autre homme à détester,
Un qui n’aimera pas la façon dont tu pilles son champ,
Celui de ses amis.
Un qui sera différent,
De qui tu n’apprécieras pas l’attitude,
Dont tu pointeras les défauts,
Dont tu condamneras les gestes,
L’apparence, le port de cheveux, la taille de barbe.
Ô toi qui as mis à bas celui que toisait ton œil noir,
À présent que ta vengeance l’a abattu,
Monte la voix, haut dans le soir
Et crie son nom !
Ainsi tous ceux qui seraient tentés de te maudire,
De te repousser à défaut de te nuire,
Sauront quel sort sera le leur
S’ils aboient trop fort.
Si donc ton cœur ne sait battre qu’au son du tonnerre,
Pioche parmi la foule de ceux qui t’ignorent,
Eprouvent envers ton être un mince ressentiment
Et choisis le plus laid, le bossu, le borgne
Ou laisse au hasard le soin d’en sortir un du nombre
Et fais de celui-ci ton nouvel adversaire.
Dépêche-toi avant qu’à force d’hésitation
Et à ton immense déception,
Tu en viennes à le connaître.
Quelle folie ce serait s’il devenait ton ami !
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