« Je suis chercheur d’amour ! » C’est un boulot à temps plein. Pas la peine d’espérer pratiquer une autre activité en même temps, car entre les fouilles, les traques et les extractions, il n’y a de place pour rien. Je sais que certains pratiquent ce genre de recherches en dilettantes. Je ne les juge pas, bien souvent ce sont des personnes égarées dont l’amateurisme confine au ridicule ; d’ailleurs, les résultats qu’elles obtiennent sont rarement à la hauteur de leurs attentes. Pourtant, il arrive que l’une d’elles parvienne à décrocher un gros filon. Bingo ! Celle-ci entre alors en possession de tant d’amour que son compte bonheur monte en flèche et près d’exploser lui assure une totale tranquillité jusqu’à la fin de sa vie. Pour un véritable chercheur, comme moi, c’est une gifle au bon sens.
Je ne me décourage pas pour autant, même si je ne suis encore jamais tombé sur une veine inépuisable de ce genre, la quantité d’amour que j’extrais des cœurs que j’exploite suffit à satisfaire mes besoins. Soit, elle est faible, mais son débit est régulier et donc pour moi la pénurie n’existe pas. Cependant, cela ne m’empêche pas d’éprouver à l’encontre de ces chanceux une véritable jalousie. Il est quand même injuste que ceux-là n’aient qu’à tendre la main en ouvrant leur porte un beau matin pour cueillir un fruit que d’autres passeront toute leur existence à rechercher tout en parcourant le monde de bout en bout.
Dieu sait que j’ai donné de ma personne et que, je n’ai aucun doute là-dessus, plus que n’importe qui, que la plupart en tout cas, je mériterai d’avoir plus que ma part. « Pourquoi, n’aurai-je pas droit à ma portion de grands émois, bordel ! » Excusez mon emportement, mais je suis sûr que beaucoup d’entre vous comprennent mon dépit. J’ai tout tenté avec l’espoir secret de découvrir une mine d’amour, même certaines choses dont je ne suis pas très fier. Dernièrement, figurez-vous que je suis allé jusqu’à proposer ma candidature à l’émission « Le bonheur est dans le pré ». Quelle honte, surtout que ma prestation a été en dessous de tout. Non, décidément, il ne faut pas se fier à ce miroir aux alouettes qu’est la télévision. Elle ne sait vendre que du sous rêve de bas étage, du sentiment à la petite semaine, du déchirement de pacotille, de l’émotion à l’emporte-pièce. Faut-il être désespéré pour s’adonner à cette drogue.
Une autre fois, je suis allé miser un peu de mon or, une bonne somme à vrai dire, dans l’une de ses maisons discrètes qui prétendent vous offrir la possibilité de ressentir presque à coup sûr le coup de foudre, l’amour grand pour le moins. Bien évidemment, leurs tenanciers vous en avertissent, il faudra être patient, rien ne tombe du ciel, l’amour moins que toutes choses, vous devrez donc remettre quelques piécettes d’or de temps à autre pour garantir le prolongement des chances. Bon, là aussi, lorsque j’ai réalisé que j’étais en train de me fin avoir, je me suis senti vraiment con.
Par ma fenêtre, je vois deux pigeons, là, à dix pas, marcher côte à côte en balançant la tête d’avant en arrière. Merde ! Les oiseaux y ont droit et moi pas ! Salops de tourtereaux ! Y a pas de justice dans ce bas monde.
Pour le moment, j’agis dans la légalité, mais je n’exclus pas de devenir voleur d’amour. Ce n’est pas très moral, c’est vrai, et le risque est élevé, certains se font tuer, les jaloux sont prêts à tout pour conserver par-devers eux l’amour qu’on leur enlève, mais le jeu en vaut la chandelle et tant pis si un jour, m’enfuyant en tenant la main l’être vers qui ira toute ma passion, dans mon dos j’entends crié : « Au voleur ! »