Quelque part en plein cœur de la ville, au beau milieu de la nuit. Le monde semble endormi et le silence règne en seul maître sur les artères pourtant si animées quand le soleil est haut dans un ciel qui, en l'absence de l'astre lune, est pour l'heure d'un noir d'encre. Pourtant quand on sait où regarder, il reste possible de trouver un peu d'animation. Comme par exemple la scène se jouant à quelques pas.

Trois hommes dans une petite ruelle déserte. L'un d'entre eux est à genoux face aux deux autres et il semble sur le point d'éclater en sanglot. A sa décharge, son visage et ses vêtements sont maculés de sang à moitié séché et il a une arme braquée sur la tempe. L'histoire est classique, il doit de l'argent à quelqu'un qui n'est pas vraiment banquier, et les deux autres sont là pour encaisser un paiement qui n'existe pas. Pour la troisième fois en trois jours.

Le monde dans lequel vivent ces trois-là est sans pitié. Le cliché est facile et semble sortie tout droit du cinéma, mais parfois la vie est ainsi faîte qu'elle n'est que cliché. Et c'est le cas ici. Dans quelques secondes un coup de feu retentira et demain matin, quand le corps sans vie aura été découvert, un message clair aura été envoyé aux petits malins pensant pouvoir escroquer impunément Marko Mahn, la terreur des docks -un nom ridicule, mais personne n'a jamais eu assez de cran pour le lui dire en face-.

Sauf que ce soir, c'est moi qui vais faire passer un message. Encore. Et inutile de vous dire qu'au bout de six mois de ce manège là tous les soirs je commence à être las de devoir sans arrêt faire la police dans la rue de ma ville. J'ai donc décidé d'arrêter d'être gentil. Je ne sais pas trop pourquoi ce soir en particulier ceci dit.

Peut-être parce qu'il y a quelque chose de profondément pathétique dans le fait de voir un homme se faire humilier de cette façon par un gros lard vulgaire en diable et par une espèce d'expert comptable en costume trois pièce et lunettes en écaille semblant avoir hérité de son flingue par hasard et ne pas savoir par quel bout le prendre.

Ou bien peut-être est-ce simplement le ras-le-bol. La proverbiale goutte d'eau qui fait déborder le non moins proverbiale vase de ma patience. J'ai pourtant frappé tous azimuts. J'ai presque mis le feu à toute une partie de cette ville. Leurs pertes doivent se compter en millions. Et ils continuent. Encore. Et j'en ai ma claque. Alors je vais passer à la vitesse supérieure.

Mon nom? Je suis le Blackman. Et j'insiste bien sur le "le". Ridicule aussi, pensez-vous? Sûrement. Mais qui oserait venir me le dire en face? Car après tout, je suis le premier véritable super héros qui existe. Et entendons-nous, cela n'implique pas que je me déguise pour aller faire régner l'ordre et la justice la nuit. Même si c'est que je fais. Non, ce que cela signifie, c'est que je ne suis pas humain. Plus. Je suis... un surhumain. Un véritable surhumain. Je peux jongler avec des voitures. Les balles ricochent sur ma peau. Je sais voler. Mes yeux peuvent déclencher le feu du ciel. Et vos esprits sont des livres ouverts pour moi. Entre autres choses.

D'où me viennent ces capacités hors du commun? Je vous le dirais. Plus tard. Pour l'heure je m'approche lentement de nos trublions et j'ai autre chose à faire, comme m'assure de jouer mon rôle à la perfection. Imaginez la scène: Ils sont là en train qui de tabasser et qui de se faire tabasser, sourds aux claquement de mes bottes sur l'asphalte jusqu'au moment où j'entre vraiment dans mon rôle par un simple "tst tst tst" empreint de fatigue mais clairement audible.

C'est là qu'ils se retournent, tous les trois. Qu'ils découvrent face à eux un homme tout de cuir noir vêtu, jusqu'à ce long manteau semblant indissociable des ombres dont je m'extrais lentement, indissociable de la longue chevelure d'ébène cascadant sur mes épaules et semblant elle aussi faire partie intégrante de l'obscurité nocturne. C'est là qu'ils peuvent noter ce sourire moqueur qui flotte en permanence sur mes lèvres quand je suis... lui. Mais surtout c'est là qu'ils se retrouvent paralysés par les deux émeraudes servant, comme le dit l'adage, de fenêtres à mon âme.

Je suis le Blackman, et oui, j'outre le trait. Je dois être un poseur, vous comprenez? Je suis un super héros. Non, je suis le seul putain de super héros de cette putain de planète. Je ne dois pas laisser penser une seule seconde que je suis faible, sans ça ils me harcèleraient sans relâche. Mais je ne dois pas non plus être trop fort, sinon ils seraient désespérés, et agiraient en conséquence.

Alors... je suis lui. Les pouvoirs d'un homme d'acier et les méthodes d'un chevalier noir. Malheureusement, pour beaucoup je ne suis encore qu'une légende urbaine. Tant et si bien que les deux gros bras face à moi commencent à se payer ma tête allégrement. Je laisse faire avec ce fameux sourire moqueur. Pas un mot ne franchit mes lèvres. Non. Je me contente de hausser les épaules avec une lassitude que je ressens vraiment et de frapper.

Ils n'ont même pas le temps de comprendre ce qui s'est passé. Pas même le temps de me voir bouger. Le temps d'un battement de cœur et ils ne songent plus à se moquer. Plus du tout. Non, tout ce qu'ils peuvent encore faire c'est laisser échapper quelques gémissement de souffrance. A leur décharge j'y ai été fort, je le reconnais. J'ai brisé tous les os de leurs bras et de leurs jambes. Ils en ont pour des mois avant de pouvoir retrouver un semblant d'autonomie. Mais ils survivront. Et s'en remettront.

Ceci dit j'ai beau m'être promis à moi-même de ne jamais tuer, j'en ai juste assez d'être trop gentil. Je ne sais pas vraiment pourquoi moi-même, mais ce soir je veux qu'ils comprennent, tous. Qu'ils prennent conscience que c'est terminé. Que... que je vais changer ce monde, qu'ils le veuillent ou pas, et que dans le nouveau monde que je vais créer il n'y a pas de place pour eux tels qu'ils sont actuellement. Il faut qu'ils comprennent que je vais les changer. Ou que je les écraserais. Et c'est ce que je leur dis. Exactement ce que je leur dis, en leur recommandant de bien faire passer mon message.

A partir de maintenant tous ceux qui violeront ma loi subiront le même traitement. Elle est simple et deux mots la résument parfaitement: Soyez sages.

Je suis le Blackman, le premier super héros de la terre et ce soir, alors que je me fonds dans cette nuit que je n'avais quitté que pour frapper, laissant derrière moi deux hommes dont la nuit s'achèvera en soins intensifs, je prends enfin une décision que je reporte depuis presque un an désormais. Une décision qui tient en trois mots.

Il est temps.