Chapitre Dix
Je n'aimais pas me cacher. En fait, je n'avais jamais aimé fuir l'ennemi. C'est un comportement si lâche ! Pourtant, c'est ce que je faisais depuis bientôt une semaine. Oui, j'avais manqué le bal de la princesse Althea. Mon refus vis-à-vis de Jegran avait quelque peu effrayé les moines. Mais un rien les effrayait. Quand ils m'avaient vue rentrer dans le Monastère, une plaie rouge avec un peu de sang séché sur le front, après la bataille avec Blaze – pendant laquelle ils s'étaient réfugiés dans un couloir secret –, ils avaient tous semblé sur le point de s'évanouir.
Les moines sont des petites natures. Ils ont toujours vécu au Monastère, reclus dans une petite vie confortable et sécurisée, ne connaissant rien d'autre que leurs prières quotidiennes et leurs « purifications ». Comment auraient-ils fait s'ils avaient été à ma place ? Peut-être seraient-ils tous morts, qui sait...
Il était cinq heures de l'après-midi. Certains moines étaient partis faire une sieste tandis que d'autres lisaient dans la Bibliothèque. Quant à moi, j'étais allongée sur mon lit. J'avais besoin de sortir. N'importe où, à Costa Faguita, à la Capitale ou même à la Guilde selkie. Mais mon ami selkie ne me laisserait pas sortir...
On toqua à ma porte. Ce fut l'abbé qui entra.
- Je ne te dérange pas ?
Je secouai la tête. Il parlait très bas, comme s'il avait peur d'être découvert. L'abbé était le seul moine un peu courageux que je connaissais.
- Il faut que tu partes. Jegran est ici et... Il a amené toute son armée, continua-t-il de murmurer, visiblement très apeuré.
- Mais je croyais qu'il avait conclu un marché avec l'ancien abbé, comme quoi il ne devait plus traîner dans le Monastère et ses environs ? chuchotai-je en fronçant les sourcils.
- Il a brisé le pacte, puisqu'on t'avait enlevée.
Il ferma doucement la porte et vint s'asseoir à côté de moi.
- Tu dois fuir, ajouta-t-il.
- Je ne veux plus fuir. Je l'affronterai.
- Il va te tuer !
C'était un risque. Le moine tenta de me dissuader mais ma décision était prise. Il m'emmena dans l'étable à Chocobos du Monastère. Jegran était seul dans l'étable et plusieurs pèlerins, venus de tout le pays, gisaient, inconscients à côté de leur monture.
- Je croyais qu'il avait son armée, murmurai-je à l'abbé.
- Elle est dans la cour arrière, celle où tu t'étais battu avec... Heu... Comment s'appelle-t-il, déjà... ?
- Blaze ! dis-je un peu trop fort.
Je ne répondais pas au moine : si j'avais parlé trop fort, c'est parce que Blaze se tenait vraiment devant nous. Oh non ! J'avais oublié qu'il était sous un tas de neige et surtout, sans surveillance ! Blaze eut un grand sourire. Un mauvais sourire... Je conseillai à l'abbé de rentrer au Monastère. Il hésita mais il y consentit. Je plongeai mon regard dans celui de Jegran. Il avait les yeux noirs, comme son cœur.
- Jegran... commençai-je. Je...
Je n'interrompis. Il était en train de rire d'une manière très sinistre, qui me fit frissonner. Il claqua des doigts. Blaze regarda au-dessus de mon épaule et se mit lui aussi à rire. Je les regardai, sans comprendre. Lorsque je me retournai, j'avais un fusil sur le ventre. Je sentis les larmes monter. C'était Denko qui le tenait.
- Ma chère Natacha, dit Jegran en s'approchant de moi. Ne t'avais pas dit qu'un jour, je te tuerai ?
- Denko... murmurai-je d'une voix cassée. Comment...
Mon ami tremblait et n'osait pas me regarder.
- Natacha, murmura-t-il à son tour. Je n'ai pas eu le choix...
Une larme roula sur ma joue. Pas le choix...
- Dépêche-toi de tirer ! s'exclama Jegran. J'ai d'autres chats à fouetter !
- Je... ne... peux... pas...
Denko parlait d'une voix saccadée comme s'il craignait des représailles. Il recula un peu mais Jegran le força à rester où il était.
- Tu préfèrerais que je la fasse jeter du haut du Pont de l'Adversité ? lui souffla-t-il, menaçant. Elle souffrira, beaucoup. Beaucoup.
Le Selkie me regarda, désolé. Non, il n'avait pas eu le choix. Qu'est-ce que Jegran avait bien pu dire ? J'observai Jegran, en essayant d'avoir un regard aussi menaçant que lui. Peine perdue.
- Tire !
- Denko... murmurai-je. Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
Il détourna la tête.
- Il a dit que si je ne te tuais pas... Il... supprimerait la Guilde selkie et tous les Selkies du pays avec...
Jegran tapa du pied. Denko jeta le fusil à terre.
- Débrouille-toi tout seul... Je ne la tuerai pas.
- Tu es prêt à laisser mourir tous les Selkies... pour ses beaux yeux ? rétorqua Jegran. Dans ce cas...
Il bouscula violemment Denko, qui se cogna la tête en tombant. Il ordonna à Blaze de prendre le fusil. Et de tirer. Sur moi.