De retour au palais, le roi fit organiser une grande fête pour célébrer la victoire. Tous les nobles du royaume furent conviés. La Princesse intercéda auprès du roi pour que son mari reçoive lui aussi une invitation. Ce ne fut pas chose facile que d’obtenir une telle faveur ; le Roi étant encore sous le coup du vif sentiment d’humiliation qu’il avait ressenti en voyant son gendre se ridiculiser aux yeux de tous. De guerre lasse le Roi néanmoins céda. Il dit d’une voix résignée :
- Qu’il vienne, ma fille, mais qu’il soit discret et reste en bout de tablée.
Lorsque les Beaux Seigneurs arrivèrent, chacun prit la place que son rang lui assignait, et Angel s’assit comme il le lui avait été recommandé en dernier et sur le siège le plus éloigné.
Au cours du repas les serviteurs apportèrent des rince-doigts, et se gardèrent de servir le malheureux chevalier qui dut tirer de sa poche le carré de tissu cousu de fils d’or, que le roi lui avait donné après le combat.
Le geste du jeune homme ne passa pas inaperçu, car le Roi surveillait cet invité indésirable du coin de l’œil. Le Roi, malgré sa rancune, ne put feindre d’ignorer plus longtemps son gendre, il lui adressa enfin la parole :
- Où as-tu trouvé cette étoffe ?
- Seigneur, c’est vous qui me l’avez fait apporté lorsque j’ai été blessé durant le combat. répondit Angel.
- Serait-ce toi le héros qui nous a épargné une cuisante défaite ? s’exclama le Roi. Sa voix partagée entre l’incrédulité et la joie sortie érayée de sa gorge.
Le jeune homme ne répondit pas, il se contenta de se redresser, il montra à tous un crin de son cheval ailé, l’enflamma et l’animal surgit aussitôt devant la salle interloquée. Le jeune homme enfourcha l’animal, ses vieux habits se détachèrent en lambeaux de sa silhouette et il apparut dans sa splendeur solaire.
Un murmure d’admiration s’éleva et gonfla comme une vague. Quand le calme revint, le jeune homme prit la parole :
- Seigneur, je suis votre humble serviteur, et votre dévoué fils, jamais je ne vous ai déshonoré, même si les apparences ont pu vous le laisser croire. Vos seigneurs ne vous servent pas comme ils le prétendent, d’ailleurs ils portent votre sceau sur leurs cuisses. C’est moi qui les ai marqués lorsqu’ils ont pris, pour ménager les efforts qu’ils devaient à leur Roi, du lait de sanglier au lieu d’aller au bout de leur mission en vous rapportant le remède dont vous aviez besoin.
Le Roi fit vérifier les dires de son gendre. Il avait dit vrai ; chaque chevalier portait l’empreinte du sceau du Roi, que seule sa fille détenait ; il lui avait remis, quand elle avait choisi de vivre dans la vallée, une bague où figuraient les armoiries de la famille !
Le roi reconnut tout à coup le jeune homme qui par deux fois lui avait permis de retrouver la vue. Trois fois même, car le Roi prit conscience, en son cœur, qu’une cécité mentale lui avait interdit d’imaginer un seul instant, que ce jeune homme, qui avait trouvé refuge dans le parc du château de la ville, puisse être le fils qu’il avait protégé dans sa forteresse des hauteurs.
Les erreurs passées ne se rattrapent pas, il suffit de changer d’attitude pour qu’elles soient annulées. Dans sa sagesse le Roi donna immédiatement une place d’honneur à son gendre. Les autres Seigneurs, confus, durent s’asseoir un peu plus loin du Roi et descendre encore plus bas dans son estime.
Angel, dont la valeur était maintenant reconnue dans tout le Royaume, put mener la vie à laquelle il se préparait depuis son plus jeune âge.
Il n’oublia pas ses parents de sang. Il les fit venir auprès de lui afin qu’ils mènent enfin une vie confortable. Dans le parc du château, à l’emplacement de sa cabane, il fit construire un pavillon où ses parents vécurent heureux jusqu’à la fin de leur vie.
Le vieux Roi, quant à lui, préféra rejoindre ses montagnes où, loin des intrigues de la cour qui le fatiguaient, il pouvait savourer de paisibles journées. Il ne se sentait plus isolé ni inquiet ; son royaume était en de bonnes mains et le couple princier venait souvent lui rendre visite grâce au cheval ailé.
Quand le vieux Roi mourut, Angel lui succéda sur le trône. Je vous laisse imaginer ce que fut son règne.
Depuis, il existe une ville où chaque homme réussit à vivre heureux, exerçant le métier qui lui convient le mieux, tout en ayant suffisamment de temps libre à consacrer à ses amis et à sa famille. Si un étranger parvient à pénétrer dans la citadelle il y est reçu comme un prince. L’accueil ici est si chaleureux qu’une fois ce lieu découvert on n’éprouve plus le besoin de partir. Les hommes vivent détachés de tout souci lié aux apparences et ignorent la défiance car leur gentillesse jamais n’est méprisée. Seul un cœur joyeux et bien intentionné peut traverser les brumes de l’ignorance et découvrir ce royaume merveilleux.
FIN