Ton nom est enfermé dans une boîte et il n’en ressortira pas. Je l’ai oublié et même si je souhaitais m’en souvenir, je ne le pourrais pas. Plus personne ne le prononce autour de moi. J’ai chassé de ma vie tous ceux qui auraient été susceptibles de l’invoquer, de me le murmurer. Du coup, ce qui faisait que tu étais toi a disparu aussi : Les images de nos jours heureux, les traits de ton visage, de ton rayonnant sourire. Le temps m’a bien aidé à effacer tout ça, il faut le dire. Celui-ci n’est-il pas le précieux complice de la vie ? Comment pourrions-nous continuer à vivre si chaque évènement, chaque émotion demeuraient à jamais imprimés en nous ? Ce serait impossible ! Comment aurais-je pu aimer quelqu’un d’autre après toi dans ces conditions ? Oh, il y a bien quelques réminiscences, je dois l’avouer, mais je les étouffe très vite. D’ailleurs, je les bazarde avec chaque fois un peu plus de désinvolture. Tu as dû beaucoup changer. Vingt ans, ça façonne, ça transforme, ça détruit le beau. Tu dois être restée la même malgré tout. N’est-ce pas étrange ? Saurais-je t’aimer encore ? Non celle que tu étais alors, là-dessus, je n’ai pas de doute, un fou je redeviendrais, un fou d’amour capable du pire, comme de ces choses qui me font honte quand j’y repense, mais celle que tu es devenue à présent, qui es toi sans être toi ? Je ne sais pas. Je ne le crois pas. Peut-être ne le pourrais-tu pas non plus, m'aimer à nouveau, parce que ces vingt années sont également passées sur moi. Je vois bien les traces qu’elles ont gravées dans le tain de mes miroirs, ce qu’elles ont fait de mon corps svelte et énergique autrefois et que je découvre jour après jour un peu plus flasque et adipeux. Et toi donc, aimerais-tu celui que je suis devenu, cet autre, râleur et colérique ? J’en doute. En cela ma femme a bien du mérite de m’aimer tel que je suis, bien que je me pose la question : ne suis-je pas plutôt pour elle une confortable habitude ?
Je parle, je parle et je m’aperçois que pendant ce temps, la boîte à laquelle je faisais allusion au début de ce monologue, s’est ouverte et qu’un mot en est sorti. Un mot qui ranime en moi des émotions que je croyais enfouies à tout jamais. Et toi, t’arrive-t-il de penser à moi ? Te rappelles-tu seulement mon prénom ? Et si tu l’avais enfermé dans une boîte et que tu en avais jeté la clef !