Pas si facile
Ce n’est pas si facile
De tourner son regard vers l’intérieur.
Ce qu’on sait y demeurer est si noir.
Ce n’est pas si facile
De s’observer sous la lumière aveuglante
De la froide lucidité,
De détailler son être, ses actes,
Comme on sait le faire avec tant d’aisance pour les autres,
En se contentant d’analyser la surface des choses
Sans éprouver la moindre compréhension,
Compassion ou mansuétude,
Car là, s’agissant de ses propres abîmes,
L’on peut plonger dans les profondeurs.
Aucune illusion n’abuse l’œil,
Pour peu que l’on soit honnête.
La plupart du temps,
Prenant la pose devant un miroir,
La vision s’arrête à sa surface.
Juste au point d’équilibre
Qui autorise la reconnaissance de soi
Avec une certaine sympathie
Pour cet être dont le reflet sourit.
Mais si l’on plonge au-delà de l’éclat du tain,
Alors apparaît une chose gluante,
Une sorte de morve grasse écœurante
Dans laquelle est enkysté le souvenir d’horreurs,
D’actes délictueux, de trahisons, de mots terribles,
Flottant au milieu d’un océan de remords.
Là se cache l’origine de la honte.
Celle qui surgit lorsque les pensées dérivent
Vers ce lieu enchâssé dans les ténèbres.
Et tout à coup, voici l’âme tout engluée,
Avilie par le marasme,
Submergée par la culpabilité.
Il semble alors ne plus y avoir d’échappatoires,
Partout où l’on se tourne,
Un souvenir obscur en appelant un autre,
L’on découvre un motif de s’en vouloir,
Jusqu’à l’avalanche et l’écrasement.
À aucun moment, les "si" du regret ne blessent plus,
Ne soulignent plus fortement notre faillibilité.
L’on pourrait croire qu’avec le temps
Ces souvenirs glauques s’évanouissent,
De la même manière que disparaissent ceux des jours heureux.
Non !
Ils perdurent et semblent même s’ancrer plus fortement
Au fur et à mesure que le temps passe,
Comme des épines fichées dans le muscle
Qui s’enfoncent quand on veut les en arracher.
Nos douleurs ne sont rien comparées à celles que l’on a infligées.