Petit matin
Je viens d’entendre la porte de la chambre. C’est elle. Elle ne va pas tarder à ouvrir celle de la cuisine et me demander : « Qu’est-ce que tu fais ? » Agaçant !
Ça y est, elle est là. Silence. Non, elle ne dit rien. Elle s’en va. « Tu vois, elle te respecte plus que tu ne le penses. Enfin, elle respecte ton intimité, le peu d’intimité que tu as dans cette maison, plus que tu ne l’imagines. » Il est vrai que de vivre l’un à côté de l’autre, pendant des années, ça crée des liens étranges. Tellement profonds. En même temps, parfois, cela devient insupportable de sentir continuellement cette présence si près de soi. En soi.
Dans quelques instants, elle va revenir et me demander : « Qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ? » Comme si nous devions absolument faire quelque chose pour nous sentir vivants et que ce soit si important qu’il faille en connaître les détails dès sept heures du matin. « Je n’en sais rien », je répondrais pour lui signifier mon exaspération. Des mots et un ton que je regretterai dès qu’ils se seront échappés. Elle repartira se coucher et je retrouverais ma tranquillité. Ou alors, bougonne, elle restera là, exprès, par provocation. Elle tirera les portes de placards, fera s’entrechoquer les bols, mettra le four à micro-ondes en marche, allumera la radio et alors, je n’aurai plus qu’à reposer mon stylo et à refermer les pages de mon cahier avant qu’il ne lui prenne l’idée de lire par-dessus mon épaule. Je déteste ça. « Quoi ! Tu as des secrets pour moi ? » _ « Non, mais c’est personnel ! » Personnel, un concept qui tend à se diluer quand on vit en couple. Il faut toujours que l’autre vienne fouiner dans vos petites affaires ; je ne parle pas des sacs à main et autres portefeuilles, mais des recoins de votre cerveau. Il parait que certains ne cachent rien à leur moitié. N’ont-elles rien à cacher les heureuses personnes ? Comme je ne supporterai plus son barouf, je quitterai la pièce et me réfugierai dans la chambre à coucher. Je m’y suis installé un petit coin à moi où mon ordinateur a sa place. Je le mettrai en marche et je partirai en voyage sur les ondes du Net. Je n’aurai pas été bien loin avant qu’elle ne surgisse à nouveau, un bol dans la main. Elle se couchera sur le lit et d’une pression sur la télécommande allumera la télé. À ce moment, un profond soupir s’échappera par ma bouche. Parfois, j’ai le sentiment qu’elle me poursuit. La façon dont elle se comporte, si ce n’est pas du harcèlement, ressemble beaucoup à la description qu’on en fait. Elle n’aime pas se sentir exclue. Je la comprends. C’est pourquoi, souvent, je fais l’effort de revenir vers elle. Alors, pour ramener le calme, je me lèverai et me coucherai tout contre elle en posant ma tête contre sa poitrine, puis je passerai mon bras autour de sa taille. « Combien de temps devrai-je rester ainsi avant qu’elle se sente satisfaite ? » C’est le genre de questions qui traversera mon esprit. « Dix, quinze, vingt minutes ? » Puis, inévitablement, je me rendormirai, en paix.
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