Je laisse un peu de côté "La porteuse de cristal" afin de vous présenter cette histoire, écrite l'année dernière durant le mois de juillet. Elle est loin d'être terminée mais je commence beaucoup d'histoires et j'en finis très peu
Bref, cette histoire-là se déroule dans un autre contexte, un autre pays avec une autre héroïne...
Chapitre UnNotre histoire commence en 1820. Les bourgeois dominent de haut les ouvriers et ne s'en plaignent pas. Le travail est roi. Travailler, toujours travailler. Les ouvriers périssent dans les mines tandis que les riches terminent paisiblement leur journée dans leur cabinet d'avocat ou dans leur banque. Il existe une famille bourgeoise et haute placée dans la hiérarchie nommée Von Kretz. Georges, le père, dirigeait une banque qui avait fait sa fortune. Jane, la mère, était décédée, il y a 8 ans déjà. Quant aux enfants, ils étaient trois : Eustache, l'aîné, avait 23 ans et travaillait pour son père. Henry, le benjamin, avait 18 ans et entamait de longues études. Et la cadette, nommée Aliénor, admirait profondément ses frères. A 15 ans, elle était considérée comme le vilain petit canard, l'intruse dans cette digne famille. Pourquoi ? Car elle croyait en ses rêves. Elle rêvait de vivre une grande aventure mais, bien sûr, tout le monde trouvait cela déplacé de la part d'une jeune fille. Laissons-la raconter son histoire :
Mon nom est Aliénor, j'ai 15 ans. Comme beaucoup de jeunes filles de mon âge, je devrais être mariée mais je trouve cela injuste et terriblement humiliant. Alors que nous nous épanouissons durant notre adolescence, nous sommes contraintes d'épouser un vieil aristocrate riche jusqu'aux os. Nous nous devons d'être de bonnes épouses et de bonnes mères par la suite. Moi, je refuse de me marier avec un homme dont j'ignore jusqu'au nom. Je veux épouser une personne que j'aimerais vraiment. Faire un mariage d'amour et non d'argent. Comme on dit, inverser la tendance. Car la tendance est que les hommes choisissent qui épouser et que l'épouse accepte sans rechigner. Pourquoi ? « Car les hommes ont bâti le Monde » comme dit Père.
Père est un homme bon et généreux et Mère a eu beaucoup de chance : elle aurait pu épouser un homme violent, qui l'aurait battue. Mais passons les détails. Je commencerai mon récit aussi loin que remontent mes souvenirs, c'est-à-dire par un soir d'hiver particulièrement froid.
Comme chaque soir, Mère nous contait une histoire, près de l'âtre, doux réconfort dans la rigueur de cette saison charnière. Ce soir-là, Mère nous racontait l'histoire de Jules César et de la belle Cléopâtre. Elle parlait du suicide de Cléopâtre quand moi, du haut de mes 7 ans, je l'interrompis :
- Mère, je ne comprends pas : pourquoi se suicide-t-elle ?
- Car elle est malheureuse, me répondit Mère. Son amour est mort.
- Oui, Marc-Antoine mais... Elle a toujours Jules César ?
- Hélas mon enfant, Jules César a été assassiné. L'Amour est cruel mon enfant, sachez-le bien. Je crois...
Elle ne put finir sa phrase. Jamais nous ne sûmes ce qu'elle voulait dire. Le vent était si puissant qu'il avait réussi à casser une branche des sapins de la forêt, voisine de notre demeure. La branche fracassa la vitre du salon. Je hurlai, comme mes frères. La branche heurta alors violemment la tête de Mère, qui s'effondra à terre, le front en sang. Je pleurai et je criai « Mère ! Mère ! » mais je savais pertinemment qu'elle n'était plus de ce monde.
Mon frère Eustache, alors âgé de 15 ans, me souleva et me porta jusqu'à ma chambre, alors que je continuai de me débattre et de hurler. Il me déposa sur mon lit et s'agenouilla à mon côté. Il me regarda tendrement, moi, pauvre petite chose secouée de terribles sanglots. Il sécha mes larmes et me conseilla de dormir. Il resta à mes côtés jusqu'à ce que je m'endorme. La suite de mon enfance est plus confuse. Elle me revient, juste par images, comme l'enterrement de ma ,mère, l'école de la ville où j'apprenais toutes sortes de choses, les jeux avec mes frères. Je me rappelle qu'à 11 ans, 4 ans après la mort de ma mère, la maîtresse d'école m'avait frappée pour avoir fait entendre mon accent roumain. Mon père était né en Roumanie et, à 22 ans, était parti en Angleterre pour se forger un avenir à la hauteur de son talent. La maîtresse, Mrs. Swicket, m'avait tapée les doigts avant de dire :
- Avoir un accent est fort déplaisant pour une demoiselle de votre rang !
Et moi, insolente, j'avais répliqué que j'étais fière de mes origines roumaines. Cela avait rendu Mrs. Swicket folle de rage. Elle m'avait alors saisie par les cheveux et emmenée chez le directeur, Mr. Creswey. Ils ont longuement discuté de mon cas en ma présence. Le directeur m'avait alors renvoyée de l'école. J'étais rentrée à la maison, vers quatorze heures, piteuse et en larmes. Eustache était là et faisait les compte de Père. J'étais heureuse de le trouver là. Il me consola et me promit d'essayer d'en parler à Père. Le soir, Père ne rentra pas. Nous étions inquiets et priions pour qu'il ne lui soit rien arrivé. Ce n'est que le lendemain qu'il rentra, fatigué. Il ne nous adressa même pas la parole et alla s'enfermer dans son bureau. Les domestiques prirent soin de nous, jusqu'à mon quinzième anniversaire.