Il est près de minuit à Los Angeles, le jeune compositeur installé depuis quelques jours dans une chambre de l’hôtel « The Heaven’s Gate » ne trouve pas le repos. Dans sa tête, passe et repasse l’air d’un nouveau morceau de son œuvre dont il n’arrive pas à assembler les différentes parties. C’est la première fois qu’il est confronté à ce phénomène pourtant il a composé un nombre impressionnant d’albums de musiques diverses. Pourquoi cette fois ne parvient-il pas à les relier, peut-être s’est-il lancé dans une mission trop difficile en acceptant de réaliser la musique d’un film fantastique qui sortira dans à peine deux mois. Encore, il saisit la partition et la relit en gesticulant comme s’il dirigeait un orchestre fantôme de sa baguette imaginaire. Il ne prête pas attention à sa voix qui s’élève et raisonne de plus en plus forte dans la nuit jusqu’à ce que le téléphone sonne. Il s’interrompt net, d’abord comme sortit d’une transe, il jette un œil sur le cadran de sa montre, immobile, figé comme si le temps s’était arrêté, puis en reprenant ses esprits, il réalise où il se trouve et comprend qu’il a dû déranger les autres clients dans leur sommeil. Il décroche le combiné.
- Monsieur Fuji veuillez m’excuser j’ai eu des plaintes de plusieurs clients des chambres avoisinantes à la vôtre, ils disent entendre quelqu’un chanter ou répéter, enfin, le bruit qui les empêche de dormir vient-il de chez vous ?
- Oui, c’est bien moi et je vous prie de me pardonner cet écart, je n’ennuierai plus personne à présent je vais me coucher sans tarder, j’ai été tellement absorbé par mon travail que je n’ai pas vu les heures passer. Désolé pour le dérangement. Bonne nuit.
- Bien, je vous souhaite une bonne nuit Monsieur Fuji.
Tout en raccrochant le téléphone ses pensées déjà se dirigent vers sa création, ses yeux se posent sur les feuilles de partition et son cerveau reprend les notes de l’ouverture du thème principal pour les retranscrire en son dans sa tête. Stop, ordonne t-il tout en se parlant à lui-même, j’ai besoin de repos, je suis si fatigué et puis, je ne peux pas avancer dans mon travail sans mon piano. Heureusement que les affaires ne me retiennent plus ici, le contrat pour le nouveau matériel a été signé, je peux rentrer chez moi, retrouver le calme et le confort de mon appartement à Tokyo et le local pour les répétitions avec les membres du groupe dès demain.
Au bout de quelques minutes à peine, il s’endort profondément, sans avoir pris le temps de se déshabiller, ni d’enlever ses lunettes qui ont glissé sur le bout de son nez.
L’alarme du réveil vient de s’enclencher, il est 6 heures du matin. Il sonne crescendo, atteint le niveau sonore le plus élevé puis se tait pour repartir de plus bel dix minutes plus tard. Dieu que la nuit fut courte, pense t-il, il tend son bras et tâtonne dans le vide les yeux clos avant de trouver la touche pour couper ce son strident qui l’agresse de bon matin. Enfin, le calme revenu, il ouvre un œil puis l’autre. Il s’étire à la manière d’un chat et décide de se lever pour aller prendre sa douche en déposant au passage ses lunettes sur la commode à l’entrée.
Des frissons parcourent son corps sous l’eau un peu trop froide à son goût. Ses sens s’éveillent lentement aux mouvements circulaires de ses mains qui font mousser son gel de douche préféré, parfumé à la senteur de rose. Une nouvelle fraîcheur lui redonne de l’aplomb et, fredonnant une vieille chanson datant de son ancienne formation, il attrape une serviette pour se sécher avant d’enfiler son kimono de soie blanche brodé de fleurs de cerisiers dans le dos et aux extrémités des manches. Alors qu’il s’apprête à allumer son sèche-cheveux, son téléphone portable sonne. Etonné, se demandant qui pouvait bien l’appeler si tôt dans la journée, il traverse la chambre jusqu’à son bureau pour prendre la communication après avoir consulté le numéro d’appel qui n’était autre que celui d’un ami de longue date rencontré au conservatoire de musique de Tokyo.
- Masato ! Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu n’as jamais été aussi matinal ! Tu …
- Kajirô, le coupe son ami d’une voix excitée, vite allume le téléviseur, sur la chaîne HK25, dépêche-toi sinon tu vas louper une grande partie de l’information !
- Masato, je suis encore à Los Angeles à l’hôtel, il est 7 heures du matin pourquoi veux-tu que je regarde cette émission ! Tu n’as qu’à l’enregistrer et à ce que je vois tu es de retour au pays alors je passerai demain dans la journée chez toi. On pourra la visionner ensemble, tranquillement et, ce sera une bonne occasion de se revoir.
- Bon si tu le dis, il manquera environ 7 minutes j’ai mis l’enregistrement en route. Alors à demain, salut.
- Salut Masato lui répond t-il alors que son ami a déjà raccroché.
Puis d’un pas dansant en reprenant le refrain de la chanson qui décidément lui trotte dans la tête, il retourne à la salle d’eau pour finir sa toilette.
Une heure plus tard, il quitte l’hôtel dans un taxi qui l’amène à l’aéroport où il embarque en destination de son pays natal, le Japon.