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 Ma vie en cinq sec

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Karoloth
Poète
Karoloth

Messages : 884
Date d'inscription : 12/12/2010
Localisation : Draveil

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MessageSujet: Ma vie en cinq sec   Ma vie en cinq sec EmptySam 8 Oct - 10:14

Ma vie en cinq sec

Hier soir, j’ai vu un documentaire relatant les évènements qui ont entrainé la fin des dinosaures. Si c’est ce genre de truc qui nous attend en deux-mille-douze, on a du mouron à se faire. Comme la fin du monde est prévue à l’approche de l’hiver, au moins, on aura bien chaud… une dernière fois. Pour fêter ça, à la fin du doc, je me suis resservi une bière-whisky. Ma boisson préférée, trois quarts de bière, un quart de whisky. C’est un cocktail de mon invention. Autrefois, je buvais soit de la bière, soit du whisky et puis un jour, je me suis dit que c’était assez con de les avaler séparément alors que de toute façon, le tout se mélangeait à l’intérieur. Pourquoi bière et whisky ? C’est le genre de question qui doit tourner dans la tête de certains. Pour tout dire, ma mère était allemande et mon père américain, ceci explique cela. Pourtant, c’est une règle que je n’applique qu’aux liquides, je n’ai par exemple jamais été tenté par le hamburger-choucroute, d’autant que je suis né en France.
Et si ma mère avait habité du plus mauvais côté de l’Allemagne à la fin de la guerre, je dis du plus mauvais côté, mais il est difficile de différencier tel endroit d’un autre dans un pays en ruine, du côté qui a été ensuite occupé par les Soviétiques ? Qu'est-ce que je picolerais ? De la vodka-bière sans aucun doute. Bien que ce que je dis soit tout à fait improbable, j’en ai bien conscience. Si c’est un ruskof qui avait engrossé ma mère, elle n’aurait pas accouché de moi, mais de quelqu’un d’autre. Il faut toujours qu’on s’imagine naissant dans d’autres conditions que celles qui nous ont révélés au jour. C’est idiot. Et si mon père s’était masturbé un bon coup au lieu de baiser ma mère, où aurais-je fini ? Y a pas à dire, ma vie aurait été sacrément courte. « — Accroche-toi, voyageur ! Je tire la chasse d’eau ! » Au moins, j’aurais vu du pays.
Mon père, je ne l’ai pas connu. Ma mère ne m’en a jamais dit beaucoup sur lui, mais étant donné la manière dont elle en parlait, j’ai toujours su que leur rencontre n’avait pas été à proprement parler une grande histoire d’amour. À mon avis, il a dû s’agir d’une entrevue d’un soir, peut-être qu’ils étaient bourrés tous les deux, peut-être qu’elle ne se souvenait même pas de sa tête le lendemain, peut-être qu’elle ne se rappelait pas s’être fait sauté. Qui sait, dans la liesse et la cohue générale de cette fin de la guerre ? Tout le monde devait se réjouir que les saloperies cessent enfin, même ceux qui avaient sacrément morflé. Si ça se fait, je suis tout simplement né à la suite d’un viol. Les vainqueurs s'octroient certains droits, celui de cuissage en fait partie. Qui va aller faire des reproches à des types qui ont survécu à l’horreur et alors qu’on a mis une nation à genoux sans tergiverser sur les moyens ? C’est un doute que j’aurais toujours, ma mère est morte en quatre-vingt-cinq.
Après ma naissance, elle a fui son pays pour la France. Pourquoi la France ? Je crois qu’elle avait fait la rencontre d’un jeune type qui faisait partie des troupes d’occupations françaises et comme elle avait quelques notions de la langue. Elle a vécu quelques années avec ce Français. J’en ai de vagues souvenirs. J’ai même cru un temps qu’il était mon père, mais bon, ma mère m’a ramené à la raison. Il ne dépassait pas un mètre soixante, taille que je faisais déjà à onze ans. Ils devaient avoir fière allure tous les deux dans les rues de Lyon, le rase-mottes et sa géante, le Fransouze et sa Chleuh. Ma mère était un sacré cheval à son époque. C’était une belle femme, mais elle devait en imposer à plus d’un avec sa stature. Son Français est mort alors que je venais juste d’avoir mes six ans, elle l’appelait comme ça lorsqu’elle parlait de lui, si bien que je n’ai jamais connu son prénom, mon petit Français qu’elle disait comme d’autres auraient dit mon petit chien. On n’a jamais trop su de quoi il était parti, un truc dans le cerveau, mais ça a été expéditif. Il était dans son jardin en train de bricoler et tout à coup, il s’est affalé, raide. Il faut dire que c’était une outre percée et qu’il fumait comme dix pompiers. Il m’arrivait de parler de lui avec ma mère et je ne me souviens pas avoir constaté qu’elle ait ressenti le moindre chagrin à sa disparition. Il était là, il me servait de père, de mari à elle, oui, ils avaient fini par passer à la mairie, mais pour ce qui est des sentiments, je crois que ma mère attendait autre chose, autre chose qui n’est jamais arrivée d’ailleurs ; peut-être à cause de ma présence ou tout simplement parce que le preux chevalier n’est jamais passé à sa porte, à moins qu’il ne soit passé et qu’il ait été trop impressionné par son physique de catcheuse et son visage où manquaient quelques rides, principalement au coin des lèvres. Tournure comme une autre pour dire qu’elle souriait rarement.
Comme son petit Français possédait une maison dans les faubourgs de Lyon, plantée au beau milieu d’un grand jardin, celui-là même où il a piqué du nez cette ultime fois, ma mère en a hérité après son décès. Le type n’avait plus de famille, tout le monde y était passé pendant la guerre, pourtant, il était le seul à être parti se battre. Allez comprendre ! Donc, du jour au lendemain, elle s’est retrouvée propriétaire d’un joli bien immobilier ce qui a fait pas mal jaser dans le quartier. « — Quoi ! La Boche ? C’est la Boche qui hérite ? » Bah, oui !
En mille neuf cent cinquante et un, la guerre n’était pas encore très loin dans les esprits et dans ces esprits-là, le Boche restait le Boche. Moi-même, j’ai souffert un temps de cette discrimination, notamment à l’école primaire. Les enfants répétaient les conneries qu’ils entendaient chez eux, ce qui ne m’a pas empêché de me faire des amis. Les gosses, les plus intelligents, finissent toujours par aller voir par eux même de quoi retournent les choses et comme j’étais plutôt sociable… Par la suite, mes origines n’ont plus eu de véritables importances, il faut dire que mon beau-père, le Français, avait eu la bonne idée de me reconnaître. Je portais son nom donc. Après la guerre, il valait mieux s’appeler Caron que Ubach, je cite ces noms à titre d’exemple, ni l’un ni l’autre n’est le mien. Si j’avais révélé à tous ces gamins qui me harcelaient que mon père était américain, j’aurais pu le faire, je ne crois pas que cela aurait changé quoi que ce soit, même si l’Amérique avec son cinéma commençait à avoir un aura grandissant dans le petit peuple de France, surtout avec ses westerns. D’abord, ils ne m’auraient très certainement pas cru et ensuite, les soldats américains n’étaient pas très aimés à cette époque. Il faut dire que les troupes stationnées en France étaient bien souvent ressenties comme des troupes d’occupation. Les débordements dont se rendaient coupables certains GI n’aidaient pas, même si les sanctions à leur encontre devaient être sévères, personne ne croyait à leur existence. Parfois, lorsqu’avec ma mère nous nous rendions dans le centre de Lyon, il nous arrivait d’en apercevoir quelques-uns de ces glorieux soldats du pays de mon papa, souvent en groupes descendant les trottoirs comme à la parade. Je m’imaginais alors que mon père était peut-être l’un d’entre eux, qu’il allait sortir du lot et accourir vers nous, embrasser ma mère, me découvrir comme un trésor oublié avant de me prendre dans ses bras.
Inutile de dire que cela ne s’est jamais produit.

Bon, si je me tapais une petite bière moi. Fait soif !

DRK
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lutece
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lutece

Messages : 3375
Date d'inscription : 07/11/2010
Age : 67
Localisation : strasbourg

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MessageSujet: Re: Ma vie en cinq sec   Ma vie en cinq sec EmptySam 8 Oct - 14:16

...Bon ben, bière-whisky je sais pas trop...mais pour le reste j'ai beaucoup aimé, Dieu sait qu'il y en a eu des destins d'enfants marqués par ces rencontres fugaces en temps de guerre! the winner is Bravo !
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féfée
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féfée

Messages : 2481
Date d'inscription : 10/11/2010

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MessageSujet: Re: Ma vie en cinq sec   Ma vie en cinq sec EmptySam 8 Oct - 16:09

J'ai beaucoup aimé te lire ! un style cru, mais émouvant...
Puisque tout se mélange, tu peux aussi rajouter le café, frappé !
J\'aime ! Sourire fleur
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