J’avais pas envie d'y aller, à cette formation. Déjà, j’étais la victime désignée d’office : mais oui, Isa…c’est pour toi…. Comme je ne sais pas dire non… c’est pas que mon patron soit tyrannique, mais j’avoue que quand il me demande une faveur, là, avec son doux regard de myope et son air de savoir que je ne pourrai pas refuser…

Bon je me suis dis : mercredi pourri pour pourri, au lieu de bosser comme une dingue dans une atmosphère délétère, vais prendre ma bagnole et aller me faire mousser un brin, parce qu’après faudra bien que je la compte-rende, la formation. C’est ce qui accompagnait le doux regard d’ailleurs : - et, Isabelle, (j’adore comme il roule mon nom dans sa bouche, il le soupire, il le susurre …bon, je m’emballe. On dirait qu’il n’en connait aucune autre d’Isabelle, rien que moi, oui !! Et pas question de m’appeler Isa, comme tout le monde ici…non, dans sa bouche, Isa est toujours Belle…mais je m’égare…) et, Isabelle, vous nous ferez un petit compte-rendu ? Je compte sur vous !!!
Et moi mes heures, je les compte pas, spa ! Et je compte rendre compte, en privé, dans son bureau, dans la torpeur d’un après-midi… chaud… chaud…mais je m’égare !!! Encore…Gare…

Donc, me voilà plantée sur ce parking de centre-ville, d’une ville, à bouffer de la quiche froide et à attendre 14 heures ; devais y aller avec une amie, et manger avec elle ce midi mais elle m’a fait faux bond : rapport à l’angine du p’tit. Sale mioche ! Quand j’en aurai moi des lardons, je vous promets que j’les materai, une angine par an maxi et encore le week-end où je les refilerai à bonne maman (en espérant d’ailleurs qu’elle le devienne, bonne, celle-là. Parce que pour l’instant…). Le resto en solitaire m’a moyennement tentée, donc, je m’en tire pour 4 € 50, une quiche et un cookie, ça va pas exploser ma note de frais. On reprend à 14 heures, je suis encore toute groggy, terrassée par l’ennui qui a suinté toute la matinée. J’aime beaucoup l’ennui qui suinte, on saisit tout de suite l’idée, c’est moite en plus, l’ennui, glauque et collant, beurk, comme le type qu’était assis à côté de moi. Faut que je pense à arriver plus tôt cet aprem’ pour pouvoir choisir ma place : en bout de rangée, au fond, pour pouvoir m’esbigner en toute discrétion, une fois la feuille de présence signée…hé hé…. Ça finit à 17 h c’te joyeuse sauterie ! Faut pas rêver…

C’est vite avalé, une quiche, froide, et un cookie, roide, comme un macchabé attendant le croque mort…l’heure du décès de ce biscuit aurait dû être prononcée il y a une semaine à mon avis. Non ! Et si je suis malade !! Je m’imagine déjà vomir sur la rangée de devant…me mettrai peut-être à côté du type, finalement…l’avait une chemise couleur vomi, justement…moi j’aime ce qui est assorti.

Je tente de passer le temps, mais ce con là c’est quand on veut le passer qu’il s’obstine à ne pas trépasser. Je regarde mes mails, c’est mon anniversaire dans une semaine, déjà une grande enseigne de la vente par correspondance se propose de me le fêter, ça fait chaud au cœur…un autre me propose de perdre 10 kg en un mois en mangeant exclusivement des cornichons, ouais, ça m’améliorerait le teint et le caractère chui sûre, vais pt’être prendre le risque…enfin un mail de ma maman qui veut savoir à quelle heure je rentrerai ce soir. Lui ai déjà dit hier, et avant hier, que je serais à la maison vers 19 heures. Elle doit penser que ma vie est tellement pleine d’imprévus que cela vaut la peine d’être confirmé …et ben, confirmons.

Oulalalala…comme le temps passe quand on s'amuse ! déjà 12h.20. encore 1h30 à tuer. Je ne suis pas de nature violente mais là…je réduirais bien cette journée à l’état de bouillie si j’avais la grenade adéquate.

Devant ma voiture passent des jeunes sortant du lycée tout proche ; les garçons sont à vélo, font les beaux. Et les filles sont hautes en couleur, juchée sur des talons qui leur tordent la colonne, elles se tiennent par la taille, et piaillent. Me souviens pas d’avoir été comme ça, moi ; je rasais plutôt les murs. Remarque, le mur d’en face donne pas tellement envie d’être rasé. Ou plutôt, si… ! Il y a peut-être des coins sympas dans cette ville, mais pas celui-ci ; me suis précipitée sur la première place de parking qui ne réclamerait pas des trésors d’ingéniosité automobile pour m’y glisser, et en face de moi j’ai un vieux bâtiment sordide, haut de trois étages – je suis à l’abri du soleil… - volets écaillés, attendant désespérément le coup de peinture comme la vieille pute attend le client…sans trop y croire… Une plaque est apposée sur la façade, quelqu’un d’illustre a dû vivre ici, j’ai beau plisser les yeux, faire des mimes et pantomimes (à me regarder un des garçons a failli s’emplataner…une fille vient à sa rescousse, une grande, cheveux courts, vaguement roux, jolies miches, ça y est à cause de mes grimaces une idylle est née, y sortiront ensemble 6 mois, il la déflorera dans les chiottes du bahut, elle sera mère à 17 ans, le gosse futur délinquant, mère au chômage, lui bien sûr y se sera tiré une balle bien avant, mais …ceci est une autre histoire, selon la formule « con sacrée »! ), donc, même en plissant les yeux je n’arrive pas à lire, faut dire que la pollution a bien patiné l’ensemble, de toute façon qui que ce soit, vu la gueule de l’ensemble, c’était il y a longtemps, longtemps…