Et moi, et moi,
Moi qui chantais le poing dur
Il faut savoir jusqu’où je poussai la lâcheté.
Un soir dans un tramway en face de moi, un nègre.
C’était un nègre grand comme un pongo qui essayait de se faire tout petit sur un banc de tramway. Il essayait d’abandonner sur ce banc crasseux de tramway ses jambes gigantesques et ses mains tremblantes de boxeur affamé. Et tout l’avait laissé, le laissait. Son nez qui semblait une péninsule en dérade et sa négritude même qui se décolorait sous l’action d’une inlassable mégie. Et le mégissier était la Misère. Un gros oreillard subit dont les coups de griffes sur ce visage s’étaient cicatrisés en îlots scabieux. Ou plutôt, c’était un ouvrier infatigable, la Misère, travaillant à quelque cartouche hideux. On voyait très bien comment le pouce industrieux et malveillant avait modelé le front en bosse, percé le nez de deux tunnels parallèles et inquiétants, allongé la démesure de la lippe, et par un chef d’œuvre caricatural, raboté, poli, verni la plus minuscule mignonne petite oreille de la création.
C’était un nègre dégingandé sans rythme ni mesure.
Un nègre dont les yeux roulaient une lassitude sanguinolente.
Un nègre sans pudeur et ses orteils ricanaient de façon assez puante au fond de la tanière entrebâillée de ses souliers.
La misère, on ne pouvait pas dire, s’était donné un mal fou pour l’achever.
Elle avait creusé l’orbite, l’avait fardée d’un fard de poussière et de chassie mêlées.
Elle avait tendu l’espace vide entre l’accrochement solide des mâchoires et les pommettes d’une vieille joue décatie. Elle avait planté dessus les petits pieux luisants d’une barbe de plusieurs jours. Elle avait affolé le cœur, voûté le dos.
Et l’ensemble faisait parfaitement un nègre hideux, un nègre grognon, un nègre mélancolique, un nègre affalé, ses mains réunies en prière sur un bâton noueux. Un nègre enseveli dans une vieille veste élimée. Un nègre comique et laid et des femmes derrière moi ricanaient en le regardant.
Il était COMIQUE ET LAID,
COMIQUE ET LAID pour sûr.
J’arborai un grand sourire complice…
Ma lâcheté retrouvée !
Je salue les trois siècles qui soutiennent mes droits civiques et mon sang minimisé.
Mon héroïsme, quelle farce !
Cette ville est à ma taille.
Et mon âme est couchée. Comme cette ville dans la crasse et dans la boue couchée.