Chaque matin une peur panique l'étreignait. Elle n'arrivait pas à diriger ses pensées, une lutte se faisait en elle pour chasser ses angoisses qui l'envahissaient. Elles arrivaient en douce ou pas, cela dépendait et la paralysait. Elle s'obligeait à bouger dans tous les sens comme une hystérique, de peur d'être bouleversée, anéantie, tuée. Elle recommençait chaque matin sa lutte contre elle-même, dure et inutile mais pourtant nécessaire à ses yeux d'enfant.
La peur que tout d'écroule la rendait rigide, tout devait rester statique le temps que ça passe, objets, humains, tout ! Elle devait attendre que la vague passe, chercher la rassurance dans un quelconque subterfuge.
Attendre que cette âme enfantine s'apaise, se console des pourquoi ne m' a t-elle jamais aimée ? pourquoi m'a t-elle délaissée ? Elle se voyait toujours dans ce pré fleuri, petite robe blanche à volants, cherchant du regard éperdument l' absente, sous un soleil implacable comme la mère.
Aucune main tendue, pas un sourire ou regard vers elle, seule, elle se recroquevillait, les larmes plein les yeux comme encore souvent. Elle sut depuis toujours qu'elle devait se réfugier en elle, trouver sa consolation au fond tout au fond et puis les livres, ses amis les vrais.
Ses blessures vives ont mené son existence, les autres comme des pansements, elle n'arrivera jamais à créer de vraies relations, toujours cette petite fille entre elle et eux.
Certains seront attendris ou charmés et même s'en accommoderont mais elle, passée les premiers émois ou à cause des comportements décevants, ressentira à nouveau ce vide effrayant qu'elle leur reprochera de ne pas combler ou de faire ressurgir.
Pas de famille qui s'aime, elle repasse le flambeau des angoisses, des amours d'enfant blessé. Elle n'est plus qu'une douleur exacerbée et ceux qui l'approchent la blessent de ne pas la voir telle qu'elle est.
Alors elle s'éloigne, construit sa prison protectrice, la souffrance de l'autre serait trop, rajoutée à la sienne. La peur de voir l'autre la quitter, un abandon de plus pour une enfant toujours en souffrance.
Ses amours comme des abandons, elle quitte pour ne pas l'être, elle y songe à ces amours avortés à peine consommés, de peur de créer à nouveau un manque.
Reste un état de spleen qui la noie, dans lequel elle baigne, elle a peur de ne plus savoir aimer, elle croit ne pas savoir, elle attendait tellement ce père. La femme s'est laissée trompée par l'enfant, de guerre lasse elle ne sait plus si il lui reste encore une place.
Les quelques uns qui ont essayé de la comprendre se sont sentis martyrisés, les autres, elle les a fuis. La petite fille malade a rendu la femme agressive.
Parfois, elle arrive à la rassurer, pour un bref instant. Surgit alors la femme qu'elle pourrait être si... ça l'interpelle, comme si elle voyait une étrangère.
Elle se sait double, aucune des deux n'arrivent à prendre le dessus, sa vie s'est déconstruite à coups de caprices.Elle se regarde vivre, se met en scène, quelque part ce n'est qu'une part d'elle que l'on voit, elle est cachée et ça fait mal.
Elle se classe dans la catégorie des schizoides parano, ceux qui déroutent avant de définitivement quitter la route. Rien n'est rattrapable, tout juste elle peut accepter, se consoler mais que faire de ce qui est subi comme une injustice. S'en détacher ?
Elle essaye... Cette dépendance créée par le manque, une verrue. Faire le deuil, cheminer vers la consolation , elle a du mal à faire la différence entre deuil et résignation, encore trop rebelle. Peut être... si un élan affectueux de la mère, mais rien, des banalités sur le temps, des cadeaux qu'elle échangerait bien contre un geste tendre. Et pas un mot sur le père mort depuis trop longtemps...
Fragile, le mot n'est pas suffisant. Elle a peur que les autres abusent, alors elle s'en méfie, les voit comme des ennemis potentiels, prêts au mal. Sa réalité dépasse toute les fictions et les scénarios catastrophes qu'elle s'inflige, l'obligent à s'esseuler pour ne plus y penser. L'enfer, la relation aux autres, elle ne sait pas les approcher autrement qu'en guerrière. Pas de récréation dans son intérieur fatigué.
Elle voudrait tellement tuer l'enfant trop fort en elle ou l'apaiser, qu'il la laisse enfin vivre en femme.