Au commencement étaient les Ombres. Ni forme de vie, ni espérance en quoi que ce soit ou encore néant absolu. Elles étaient tout cela à la fois sans en être une seule parcelle. Elles étaient là avant, après, autour et dedans. Le Big Bang, les galaxies, la fin de l'Univers et l'émergence du prochain étaient le fruit de leur travail.
La vie apparue sur terre n'était qu'une invention de leur part un jour d'ennui. Une sorte d'auto-dérision, une trait d'humour entre elles. Elles étaient à l'origine de tout et en même temps la raison de la fin de tout ce qu'elles avaient engendré.
Comme un enfant se lasse d'un jouet au bout de quelques jours, elles finirent par se lasser de nous et nous laissèrent seuls. Mais au moment de nous quitter, elles nous firent un dernier cadeau, ou plutôt une malédiction qui allait nous condamner à jamais : la conscience.
J'ai fini par apprendre que nous n'étions intrinsèquement pas fait pour accueillir une telle abomination. La conscience de sa propre vie, de ses choix et des conséquences morales qui en découlent va à l'encontre de tout principe de normalité et de bien être psychologique. Il était prévu que nous agissions à l'instinct, comme les animaux. Mais l'une de ces Ombres se retourna au moment de nous abandonner sur ce rocher stérile et dans un grand éclat de rire cosmique nous implanta la conscience.

Les Ombres étaient-elles bonnes ou mauvaises ? D'un point de vue humain, au sens où nous pensons la moralité, cette question n'a pas lieu d'être posée. Elle n'existe pas, de même que sa réponse est infinie. D'un point de vue cosmique, la réponse est insondable et n'a pas plus de sens.
Sommes-nous bons lorsque nous écrasons une colonie de fourmis, aussi insignifiante soit-elle ? Sommes-nous mauvais lorsque nous massacrons un peuple afin de lui prendre ses ressources pour faire survivre un plus grand nombre encore ?
Les Ombres ne se posaient pas ce genre de question. Elles agissaient. C'est tout. Je me suis souvent demandé si elles n'existaient pas uniquement dans ma tête. Il faut dire que depuis l'âge de dix ans je suis enfermé dans un hôpital psychiatrique sous très haute surveillance. Je suis soit-disant dangereux pour moi-même et pour les autres.
Après tout c'est peut-être vrai. Ils ont sans doute raison lorsqu'ils m'assurent que tout n'est que dans mon esprit. Pourtant ils ne savent pas ce que moi je sais. Ils n'ont pas vu ce que j'ai vu. Je griffonne tout ceci sur mon petit carnet car je sens que le prochain changement est pour bientôt. Les signes ne trompent pas.
Je les remarque à chaque fois, et je suis toujours là après. Du moins mon esprit. Immortel. Et aussi proche de la folie qu'il est possible de l'être. Mais qu'est-ce qu'être fou ? Certain d'une vérité qui vous anéantirait si vous en entrevoyiez une infime partie ?

Je les entends dans le couloir. Ils vont encore m'administrer une dose phénoménale de leur drogue de synthèse. Ces imbéciles ! S'ils savaient que j'en sais infiniment plus qu'eux sur la synthèse. Ils ne comprendraient pas. Comment le pourraient-ils de toute manière ?

Je dois à présent stopper ce journal. Il sera sauvegardé dans la partie de mon esprit où j'ai stocké tous les autres. Je ne pense pas cela possible mais si jamais quelqu'un parvient un jour à comprendre je ne demande qu'une seule chose. J'ai perdu tous ceux que j'aimais, j'ai vu plus d'horreurs que cerveau humain ne peut en supporter et j'ai en même contemplé toutes les merveilles du monde au point que je n'ai plus aucune larme dans mon coeur. Je ne sais plus si je suis humain, une machine ou autre chose encore. La réalité et mon esprit sont deux concepts que je n'arrive plus à comprendre. Du moins ici.
Alors pitié ! Je ne demande qu'une seule chose malgré tout ce que j'aurais pu vous faire par inadvertance ! Pitié ! Faites ceci en suivant ces instructions




Dossier sauvegardé le 22 septembre 2012 à 11h00