______________________________L'Immortel_________________(4)
Il était comblé et son esprit ne savait plus que rire et chanter. Ses os s’étaient réparés. Toutes les douleurs s’étaient enfuies de son corps et quand il s’était redressé, son dos s’était tendu tel le bois d'un javelot souple. Tous ses muscles vibraient et demandaient à se mouvoir, à se détendre, à se contracter. Ses poumons se gonflaient et se remplissaient d’air comme s’ils n’avaient jamais connu la maladie. Son œil avait retrouvé l’acuité qu’il possédait dans les temps lointains. Que pouvait-il bien demander de plus ? Il avait toutes les richesses en lui. « — Soit ! dit le dieu-chimère après un instant de silence. Je reste ton débiteur. Va ! Tu es à jamais libre de vivre. » Lui remercia le vide, car le dieu avait déjà quitté la place et disparu du monde.
Il décida, puisque ses vives forces lui étaient revenues, de poursuivre l’escalade. Lorsqu’il atteignit le faîte du cratère, le soleil était déjà haut. Plus bas, dans la plaine qui s’étendait au pied de la montagne, des mages se recueillaient au bord de la rivière qui passait là. L’un d’eux crut apercevoir une silhouette tout là-haut et tendit son bras vers elle. Les autres cherchèrent des yeux ce ver qui se mouvait au milieu de la pente de terre noire. Tous finirent par distinguer la blondeur de ses cheveux et par le reconnaître. Pourtant, ce n’était pas un homme de cette allure qu’ils avaient accompagné au bord de l’abîme et précipité dedans. Personne jamais n’était revenu du pays des morts. Par quel prodige le supplicié avait-il été sauvé ? Puis la crainte prit possession d’eux alors que l’homme s’approchait à grands pas. L’on voyait à présent le regard noir qui disait tout de ses pensées. « Vengeance », criait-il ! Les mages appelèrent les guerriers à leur secours. Cinq vinrent tout d’abord, puis cinq autres encore et enfin toute une troupe. Lui continuait à s’avancer d’une démarche ferme et bientôt, il ne fut plus qu’à quelques longueurs d’un jet de pierre. Dès cet instant, trois guerriers plus pressés d’en découdre que les autres s’élancèrent. Lui accueillit le premier en ouvrant les bras. Il les referma en le saisissant à bras le corps, le souleva de terre et le projeta la tête la première sur le sol. L’autre mourut sur l’instant. Le second reçut un grand coup d’épaule dans la poitrine en guise de bienvenue qui lui coupa le souffle et lui enfonça le sternum. Celui-ci aussi mourut. Quant au troisième, il reçut un violent coup de pied dans la cuisse qui lui brisa l’os net dans un craquement répugnant. Alors toute la troupe qui était en attente se rua en hurlant, haches et piques levés. Un terrible combat s’engagea. Lui, infatigable, fort de sa jeunesse, ignorant les coups de pierres et de bâtons, se démenait au milieu de la masse de ses assassins tel un diable féroce. À la fin, tant de corps jonchaient le sol que les survivants commencèrent à hésiter et à refluer vers l’arrière puis, soudain, ce fut la débandade. Tous ceux qui le pouvaient encore s’enfuirent avec la peur aux trousses.
Dans les temps qui suivirent, Lui qui avait encore l’esprit à la vengeance parvint à rassembler les rescapés de son peuple. Ils n’étaient plus très nombreux, mais il y avait parmi eux des hommes à la volonté farouche possédant les qualités d’excellents combattants qui étaient prêts à tout pour avoir une revanche. Ils n’avaient qu’une idée en tête : reconquérir les terres qu’ils s’étaient fait voler. Une armée naquit et sous son commandement, elle devint si puissante que bientôt tous les anciens ennemis furent vaincus ou firent allégeance. La paix s’installa dans la région, une paix juste et durable dont Lui était l'initiateur, et bien des années passèrent. Alors, Lui vit ses proches amis vieillir et mourir un à un. Ensuite, ce furent ses enfants qu’il vit se couvrir de rides. Mais sur lui, le temps ne laissait pas de marques. Aux yeux de tous, il devint l’incarnation d’un dieu. Il était vénéré en tant que tel et si cette adoration le contenta un temps, il finit par s’en lasser. Il n’était qu’un homme chanceux. Jamais il n’avait été et ne serait légal d’un dieu malgré les courbettes que l’on faisait devant lui. Il était las de ce statut, las d’être adulé, las de voir la distance qui le séparait de ceux qui l’entouraient s’agrandir.
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