Je ne sais pas si c'était le destin, cette épée de Damoclès qui tournoie au-dessus de nous comme une évidence. Je ne sais pas non plus s'il était juste temps pour lui de tirer sa révérence comme dirait Véronique Sanson, une suite d'événements, de causes et de conséquences qui ont eu cet effet-là. J'ignore si mes prières ont servi à quelque chose, si elles l'ont aidé à se sentir mieux, en paix comme diraient certains. A ma manière, j'ai transmis tout l'amour et l'espoir que j'avais en moi pour qu'ils soient en lui.
Je ne sais pas non plus ce que tout cela veut vraiment dire. Est-ce juste un état, un corps enseveli six pieds sous terre qui n'en bougera plus ? Est-ce vraiment à cela que nous sommes voués ? J'ai réfléchi depuis l'annonce de la nouvelle. Beaucoup plus que je n'aurais dû. A dire vrai, l'annonce... ne m'a rien fait. Non, je ne suis pas inhumaine et je l'aimais très fort. Peut-être m'y étais-je préparée comme je l'avais pu. Mais en aucun cas cela n'a de rapport avec ma sensibilité qui, je vous l'assure, est très présente chez moi.
Je me dis simplement qu'il n'est pas ce corps dans cette boîte en sapin que tous bénissent en pleurant. Qu'il n'est pas l'homme qu'ils ont vu une dernière fois à la chambre mortuaire. Il est parti. Juste parti. Son esprit a rejoint les anges. Son souvenir, quant à lui, a préféré rejoindre nos cœurs. Pas pour nous faire pleurer, pour nous faire de la peine, juste pour nous dire : « Je vais bien, maintenant, je pense à vous, je vous aime. » Comme s'il avait poussé la porte de sa chambre d'hôpital en se débarrassant de ses tuyaux pour n'y jamais revenir. Comme s'il avait voulu faire le tour du monde sans jamais en revenir, mais pas sans nous donner de nouvelles.
Mais cette boîte-là, ce cercueil, cette conserve, appelez cela comme vous le voudrez. Cette boîte ne renferme pas son corps, je ne sais pas où est son corps, je m'en moque. Je ne peux juste pas l'imaginer là-dedans, rendu méconnaissable par la maladie. Je ne sais pas ce qu'il y a à l'intérieur de cette boîte, ni ce que les autres ont vu en entrant dans la chambre mortuaire. Je m'en fiche. Je me souviens simplement de ses sourires, même lorsque je l'ai vu pour la dernière fois dans cette triste chambre avec une télévision défectueuse. Je me souviens de ses bons petits repas, de ses confitures de vin qu'il me préparait toujours en venant. De ses tartes aux pommes. Des cinq ou six voitures dans son jardin qu'il réparait. Je me souviens. N'est-ce pas l'essentiel ?