- Ecris-la. Visualise-la.
- J’ai peur qu’elle me dévaste.
- D’abord avec tes mots, bâtis le lieu.
- D’accord, ce n’est pas bête ; mais quand j’aurai bâti les murs que ferai-je ? Pourrai-je l’y enfermer ?
- Tout dépend de la solidité de ce que tu auras dessiné.
- Bon. Elle vit loin de tout, et de tous. Elle n’a pas d’enfants, elle ignore les rires du coucher et les pas pressés dans l’escalier, elle vit dans cette pièce, sombre et froide, grotte sous-marine enfouie loin sous un torrent elle n’est pas ma rivière elle n’est pas mon courant, étrangère elle a forcé ma porte elle a brisé mes vitres abattu mes barrières ; elle est rentrée quand je regardai ailleurs.
-Où est-elle, où n’est-elle pas ?
- Elle n’est pas dans les sourires des enfants elle n’est pas dans les disputes à la salle de bain elle n’est pas dans la gestion du quotidien elle n’est pas dans les kilomètres tracés au stylo rouge sur le papier elle n’est pas dans mon regard du matin juste avant le café ni dans tes yeux du midi ni dans les murmures à la nuit. Elle se nourrit de tes erreurs elle dévore ta terreur elle vautre son corps de chienne dans tes soupirs blasés elle éclate dans ce ton raisonnable que tu prends pour me parler elle explose dans le silence de ce que tu as oublié de dire ce que je n’ai pas voulu savoir soudain elle est avalanche elle gonfle quand je m’englue dans la honte qui pétrifie elle est ton inertie quand je voudrais agir arrêter de gémir elle est pièce sans fenêtre sans porte ouragan réprimé entre mes dents elle est cyclone je la sens qui ronronne dans mes tripes attendant l’ouverture pour exploser et anéantir tout ce qui encore tient debout
-Tu as peur d’elle de ce qu’elle saurait dire, de ce qui enfle dans son sillage, et qui vient te vêtir, et qui vient t’avilir.
- Elle est expédition punitive, elle est tempête vindicative, elle est là dans mes doigts envie de cogner de déchirer de taper cet imbécile de clavier entouré de machines qui ne ressentent rien.
-Elle est ces mots que tu réprimes pour encore le protéger.
- Je la sens se déployer elle baise mes lèvres elle est braise elle pousse en moi ses doigts rougis de fer et souffle dans ma bouche ses phrases de snipper. Elle est grosse et un sourire béat l’illumine elle porte d’hideuses accusations monstres siamois abominations elle écarte les jambes en gémissant et montre à tous son utérus distendu je vois passer la tête la bouche hideuse de l’enfant vomit un son dément je dois l’empêcher je ne sais plus la faire retourner à l’abri je crie !
- Elle naît.
- Colère.