J'ai parfois l'impression de trop parler de moi en me tutoyant. Comme ce soir. J'étais parti pour proser un énième dialogue intérieur, j'avais déjà une bonne dizaine de lignes. Et puis zut. Ce procédé me facilite le remontage de bretelles mais en l'occurrence, ce texte ressemble plus à une réflexion qu'à une discussion. Autant y aller franchement.
On le sait, quiconque m'a déjà lu, rencontré ou même simplement entendu sait que j'ai un terrible défaut, une malformation freudienne peut-être, une maladie que louent certains et pleurent certaines : j'aime les femmes. Pas toutes les femmes, non. Et bien loin de moi l'idée d'une quelconque infidélité charnelle à celle qui a su me séduire. Une par une, ces créatures croisées du divin et du démon ont su extraire de ma vie ces instants passionnés qui ont fait naître tant de lignes sur le papier comme sur mon corps. Chaque journée fait naître une idylle que vous ne lirez jamais car elle s'inscrit dans ma chair et retombe comme un fruit blet avant que le vent tourne. S'il en est une qui répond à mon regard, l'idylle se change en romance. Chacun imagine ce qu'il veut, tant qu'il est désiré, tant qu'il est observé. Satyres et nymphes que nous sommes, nous n'existons qu'un court instant dans l'imaginaire nimbé de roses et d'éclairs qui rugit dans notre esprit.
Encore faut-il qu'elles aient de l'esprit. Je ne me lasse pas de converser, bêtement ou non, avec ces anges nés de la douleur qu'un rien excite. Mes discours légers ne trompent pas autant que les lourdes paroles qui pavent mes ruptures. On sait que j'aime et si l'esprit s'en amuse ou s'en éprend, le corps attend. Aimons-nous tous les deux, pour de vrai s'il le faut, déchirons-nous, souffrons tout notre saoul par nous-mêmes, pourvu que nous sachions pourquoi ! Ceci fait, la passion passée et les vêtements vêtis, que reste-t-il ? Tout le plaisir du monde ne saurait cacher leurs douleurs. Je les vois. Je les sens, même lorsque je voudrais qu'elles souffrent seules. Ces anges nés de la douleur, je les comprends.
Nous avons en commun cette éducation autonome et des principes forgés à même la vie nue, froide et cruelle, que nous sommes obligés de partager avec les autres. Je me retiens de vomir sur ces êtres bien-pensants qui auraient dû nous ouvrir le ventre plutôt que de nous laisser avec la haine au dedans. Je les méprise, ce mal leur appartient. Et elle, elle qui m'a compris, elle ne me juge pas. Pourquoi n'a-t-elle pas guéri comme moi ? Quelle route couvre ce brouillard fumeux et ces charognards trop bien nourris qu'elle traîne dans ton sillage ? Je regarde la vermine grouiller autour de son nid de ronces, elle agrippe sa robe et salit son nom. Tous ces cris, pourquoi, pour qui ? De toutes les femmes que j'ai aimées, elle est celle qui crie le plus. Elle crie encore, fort, elle pleure, mais je ne suis plus là pour supporter cette souffrance cachée, enfouie, honteuse. On aime qui nous ressemble, pas qui ressemble à notre douleur.
A présent, je me pose une question. Une question bête, sans doute, idiote, sotte et stupide de par sa proposition douteuse et déplacée vis-à-vis de celle qui me voudrait comblé aujourd'hui. Mais une question qui surgit dans un idéal où le brouillard se serait levé pour ne laisser que la bruine odorante, où la vermine et les charognards auraient été méprisés, où les ronces se seraient ouvertes pour moi, doucement. Mon idéal, celui nimbé d'éclairs et de flammes chaudes comme le vent d'été. Quelle vie aurait-on menée si nous avions guéri tous deux ?