_______________________Le crayon______________(4)
Ombre au tableau, ils possédaient le même goût de l’ordre, ce qui ne peut certes pas être considéré comme un défaut lorsque ce goût des choses bien rangées demeure raisonnable, seulement, pour eux, méticuleux à l’excès, cela n’était pas le cas. De pointilleux, avec le temps et l’arrivée de leur premier bébé, ils en arrivèrent à sombrer dans l’obsession quasi maniaque du rangement et de la propreté. Si bien qu’à l’époque où se déroule le récit, ils en étaient venus à ne plus supporter d’écart à une exception près. Chaque chose devait être à la place qui lui était attribuée et partout miettes et poussières étaient pourchassées. L’appartement en toute occasion ressemblait à une photographie découpée sur la page d’un catalogue de mobilier. Le désordre n’était toléré dans aucune pièce. Pour cette raison, Julie et Nathan changeaient régulièrement de femme de ménage, si souvent que l’on ne pouvait compter combien s’étaient succédé à ce poste. Elles avaient été si nombreuses. Certaines d’entre elles ne restèrent pas plus d’une journée, parfois moins. Non, comme patrons, ils se montraient bien trop exigeants et pingres aussi — c’était là une autre de leur qualité commune —, ce qui n’arrangeait rien.
L’on sait comme sont les enfants, comment ils sont enclins à la négligence, aussi, Julie et Nathan avaient dès le premier âge éduqué ceux de la maisonnée à maintenir l’ordre dans leur chambre. Dès qu’ils en avaient été capables, Orianne et Otan durent se plier à d’intransigeantes règles. Rien ne devait traîner sur le sol après le jeu, chaque jouet devait retourner dans le bac quand il était terminé ou quand venait l’heure de dîner ou celle de se coucher. Plus tard, lorsqu’ils furent assez grands pour le faire, c’est eux-mêmes qui durent changer chaque jour les draps de leur lit, chasser la poussière et faire briller les meubles de leur chambre respective. De même, aucun désordre n’était toléré sur le bureau lorsque le travail scolaire était fini. Ceci avait pour avantage d’économiser sur les heures de ménage de leur employée de maison temporaire et, d’après les parents, de former leurs enfants à la rigueur de l’esprit. Oriane et Otan n’avaient pas leur mot à dire, seul un mot d’ordre comptait : obéir.
Oriane et Otan avaient fréquenté jusqu’alors la même école, celle privée du quartier, mais à la rentrée prochaine, Oriane entrait au collège. Cela allait bouleverser bon nombre d’habitudes, mais personne ne paraissait s’inquiéter pour autant. Là encore, les parents avaient opté pour un établissement privé. D’après eux, l’enseignement qui était dispensé dans celui-ci était très supérieur à celui d’un collège public. D’ailleurs, les résultats aux examens des élèves fréquentant cet établissement, tout comme les notes générales, étaient meilleurs que dans la plupart des autres collèges de la ville. Le coût annuel aussi était supérieur, très supérieur, mais là n’était pas la question. Certaines dépenses, en vue de résultats escomptés, bien que contrôlées, n’auraient su être mesquines dans l’esprit de Julie et Nathan. Il ne s’agissait pas là de rétribuer la bonne à tout faire, d’appointer le syndic de l’immeuble ou de payer ses impôts, l’avenir des enfants était en jeu et puis cela donnait du cachet à la famille : « — et votre fille, elle entre au collège ? » — « — oui, à Saint-N… ! » Inutile de dire que l’interlocuteur changeait de tête généralement en entendant le nom de l’institution. Entrer à Saint-N… n’était pas donner à tout le monde. Les places étaient chères, au sens figuré comme au sens propre. Encore que l’argent ne suffisait pas toujours. Un élève médiocre n’avait aucune chance d'être accepté à moins de porter le nom d’une personnalité très en vue ou que ses parents aient des accointances avec le monde politique ou celui du spectacle, de la presse ou encore de la télévision. Bref ! Du gratin comme on dit vulgairement. Pour Oriane, bien que ses notes fussent excellentes, ce n’était pas joué d’avance. Nathan avait dû faire appel à toutes ses connaissances et au passage récompenser certaines amitiés. Un dîner dans un restaurant étoilé était un moindre coût, certains intervenants ne se contentèrent pas de si peu. Ceux-ci préférèrent une petite enveloppe garnie de quelques centaines d'euros d'autant plus grosse qu'ils avaient le bras long, pour leurs bonnes œuvres se défendaient-ils. Bien entendu, ce ne sont point des méthodes très honnêtes, mais le monde est ainsi fait, pour imposer sa volonté dans celui-ci, il faut parfois savoir employer quelques subterfuges.