_____________________________Le crayon______________(5)
On le voit, Julie et Nathan n’étaient pas avares en toutes circonstances. Quand il s’était agi de changer sa voiture à lui par exemple, ils n’avaient pas hésité à dépenser plusieurs dizaines de milliers d’euros. De même, au moment où elle et lui avaient décidé de remeubler totalement l’appartement, ils s’étaient offert les meubles les plus coûteux. Pourtant quand l’idée leur vint de redonner de l’éclat à l’appartement en faisant rafraîchir presque à neuf, peintures, faïences, sols et plafonds, aussi électricité et plomberie, s’ils ne firent pas la grise mine au moment d’acheter les meilleurs matériaux à un prix exorbitant, il n’en alla pas de même lorsqu’il fallut trouver les bons ouvriers. Concernant la main d’œuvre, elle était toujours trop chère, si bien que presque tous les travaux furent réalisés par des travailleurs non déclarés, un peu comme la bonne qui officiellement ne venait que la moitié du temps. Seuls les travaux de réfection du circuit électrique furent effectués par une société artisanale. Pour des raisons d’assurance, une facture en règle était exigée, ce qui n’empêcha pourtant pas Julie et Nathan de mettre plusieurs entreprises en concurrence afin d’obtenir le meilleur prix, le plus bas donc. C’est d’ailleurs pendant cette sorte de lifting, à l’occasion de la pose de la baignoire, que Nathan subit aux échecs la plus déshonorante défaite à ce jeu, déjà évoquée, de toute sa vie.
Julie et Nathan avaient donc l’avarice sélective. Rarement, ils comptaient au moment de s’offrir ce qu’ils jugeaient indispensable et dont l’utilité était parfois contestable. En matière de vêtements, rien n’était trop beau, ni en matière de soins de beauté, ni en toutes autres sortes de choses relativement futiles. Malheureusement, les souhaits des enfants n’entraient pas dans la catégorie indispensable. Aussi, leurs besoins secondaires où leurs désirs étaient-ils souvent considérés comme négligeables, encore plus ceux venants d’Oriane que ceux d’Otan. Lui, Otan, peut-être parce qu’il était un garçon et qu'il était plus jeune, avait droit à quelques prérogatives et à des attentions dont sa sœur était privée. Il ne faut donc pas s’étonner si Oriane souffrait de cette différence qui était faite entre elle et son frère et si souvent elle devait réprimer une certaine jalousie, sentiment qu'il lui était interdit d’afficher. Autrefois, avant la naissance d’Otan, les choses étaient différentes. Elle était un peu considérée comme la petite princesse de la maison avec tous les avantages qu’un tel statut offre. Par exemple, il lui suffisait de tendre le doigt vers un objet quelconque dans un magasin, un jouet, une poupée, un vêtement, pour qu’aussitôt, on s’en saisisse pour lui en faire cadeau. C’était une époque magique pour elle qui fut cependant de courte durée, car l’arrivée de son petit frère avait bouleversé toute la hiérarchie. De centre d’un monde, si petit fut-il, elle devint satellite secondaire. Au début, elle avait accepté ce sort nouveau, elle comprenait que le petit bébé qui venait d’arriver demandait plus d’attentions, mais lorsqu’elle réalisa après quelques mois que rien ne serait définitivement plus comme avant, et après quelques révoltes sévèrement réprimées, elle commença à se réfugier dans un univers de tristesse tissée de colère. Elle n’aurait su dire dès lors qui de son père, sa mère ou son frère elle détestait le plus. De sa mère, autrefois tendre maman, ne lui venaient plus que reproches, sermons et mises en garde. Son père lui ne prenait jamais sa défense lorsque sa femme s’irritait sans raison après elle, même si elle agissait avec une évidente mauvaise foi. C’était cette attitude qui affligeait le plus Oriane, cette façon que lui avait de se détourner quand le danger pesait sur elle. Jamais il ne lui tendait la main secourable qu’elle espérait, jamais il ne levait le moindre doigt en sa faveur, au contraire, souvent il prenait ouvertement fait et cause pour sa femme et enfonçait sa fille par un mot blessant ou une remarque désobligeante. Il fallait marcher droit, être fait de rigueur, penser à la verticale. Cela dit, Oriane ne manquait de rien et si elle n’était pas vêtue à la manière dont l’était ses amies couvertes de marques comme des panneaux publicitaires, elle l’était toujours d’une façon très correcte avec des vêtements en bon état et de bonne facture. Ses parents n’auraient pas toléré qu’il en fût autrement, qu’elle puisse nuire d’une manière ou d’une autre à l’image qu’ils souhaitaient donner de leur famille.