Ses longs cheveux blonds étaient tirés en arrière par le poids de l'eau. Une de ces mains se tendit vers moi et je constatai qu'elle était palmée. Elle semblait inoffensive, aussi inoffensive qu'une grenouille venimeuse. Sa beauté paraissait surnaturelle et elle, irréelle. Mes doigts s'agrippèrent presque convulsivement aux bords de la chaloupe.
- Qui es-tu ? parvins-je à articuler, le souffle court et le cœur battant la chamade.
- Yo ho, yo ho, vive la piraterie, reprit-elle tout doucement en diminuant le rythme.
On pique, on saccage
On monte à l'abordage,
Buvons mes amis, yo ho.
Plongeant sous l'eau, elle se retrouva de l'autre côté de notre embarcation, les yeux rivés sur le pirate, lui-même sous le charme. Son regard se voulait séducteur mais il m'effraya plus qu'autre chose. J'aurais voulu dire à mon rameur de se méfier, de ne pas la regarder comme s'il était éperdument amoureux mais ma gorge était si nouée par la peur que rien ne sortit. Si seulement elle arrêtait de chanter cette chanson paillarde d'une voix si mélodieuse...
- Nous sommes des fripouilles, chanta-t-elle à l'adresse du pirate.
Qui pillent et qui dépouillent,
Buvons mes amis, yo ho.
Yo ho, yo ho, vive la piraterie.
Le pirate approcha ses lèvres d'elle, se penchant pour cela de plus en plus. Nous allions chavirer, c'était imminent. Je sentais notre embarcation tanguer de plus en plus et aperçus des formes sombres onduler dans l'eau. D'abord une, puis deux et ainsi de suite. Dix se promenaient autour de la chaloupe. Alexander m'avait promis qu'il ne m'arriverait rien. Je l'avais cru sur le moment, j'avais si peur et il m'avait rassurée. Mais ces monstres étaient trop nombreux pour que je puisse espérer y échapper.
La sirène adressa à mon rameur un sourire d'une blancheur éclatante avant de saisir des deux mains le bord de la chaloupe et de la retourner. Sans avoir eu le temps de vraiment prendre ma respiration, je tombai dans l'eau étonnamment froide. Je vis des dizaines de sirènes s'approcher de moi et j'aperçus la queue de poisson de l'une d'entre elles s'enfoncer dans les profondeurs de l'eau, le corps du pirate dans les bras. Battant des bras, le corps crispé par la morsure du froid et à la manière d'une forcenée, je tentai avec acharnement de remonter à la surface. Je devais aller le plus vite possible, avant que ces créatures ne puissent me rattraper. C'était un espoir vain mais si j'avais une chance, aussi infime fut-elle, de leur échapper, je devais la saisir. J'en sentis une me frôler les bras et me débattis deux fois plus.
Après ce qui me semblait être une éternité, je mis enfin la tête hors de la mer, le goût du sel sur les lèvres.