L’arbre avait en gestation
La grâce dans son tronc.
L’ébéniste prit alors son couteau
Son rabot, ses ciseaux
Et travailla sans repos
Jusqu’à ce que sa gangue
S’extirpât une figure étrange :
Une danseuse de brume
Aux yeux doux frangés de plume
Un petit rat d’opéra
Aux pointes martyres
Aux lèvres de soupirs
Automate sans défauts
C’était un pantin de mots
Devant le démiurge épuisé
Elle esquissa révérence
Sa jambe déliée
Se tendit pour la danse,
En voltes légères
Délivrant les mystères
Sous ses pas minuscules
L’ébéniste sous le charme
Rendit alors les armes
Abaissant une main
Il s’empara du destin,
Tendant un fil
Coupant un lien
Tourne tourne petit pantin
La scène est pour toi,
L’ombre pour moi,
Ainsi chacun sa place,
Je tire les fils
Tu te déplaces
La reconnaissante marionnette
Un jour bergère
L’autre guerrière
Ainsi s’abritait des tempêtes
Mais un jour l’ébéniste
Apprenti marionnettiste
Au terme d’une trouble agonie
Expira sur l’établi
La petite danseuse embua ses yeux de brouillard
Emmêlant alors ses pas
Entre tango et cha-cha-cha
Mais il était bien trop tard
Sans la main tenant le fil
La liberté était futile
Enjôleuse et sincère
Elle exécuta dans la chaudière
Un triste pas de dance
Grillant dans un dernier voyage
Sa grâce incandescente
Si vous êtes hommes sages
Entendez le proverbe
Qui clôt cette pauvre gerbe :
La liberté est un apprentissage
Qu’il ne faut prendre à la légère
Car il est souvent plus facile
De se croire sous le fil.