quelemondeestbeau Poète
Messages : 417 Date d'inscription : 30/04/2011 Age : 27 Localisation : Neverland
| Sujet: Lune T2/Chapitre 16 Mar 18 Nov - 19:12 | |
| XVI. Zira Debouts devant la mer, de nouveau calme, nous observions l'étendue d'eau qui séparait la plage du Cœur des Caraïbes. La distance paraissait infinie et intraversable, compte tenu des précédents événements qui s'étaient produits. J'étais persuadée que les sirènes nous avaient attendus, tapies sous l'eau, les yeux rivés à la surface. Je les imaginais facilement se passant la langue sur les lèvres avec gourmandise, savourant à l'avance le moment où elles dévoreront après – ou avant – nous avoir noyés. Dès qu'Alexander et moi étions sortis de la Caverne aux Stalactites, Dirk s'était précipité vers nous, visiblement soulagé de nous revoir sains et saufs. Je lui avais tendu une poignée de rubis et lui avais indiqué notre prochaine destination. Lui avait acquiescé sans rien dire. Dirk me faisait confiance en ce qui concernait la compréhension des indices. Nous étions ensuite retournés sur la plage où nous attendaient sagement Timothy, Edmund, Aidan, Duncan et Elijah. Eux aussi avaient été soulagés de nous retrouver. A présent, nous observions l'eau sans rien dire et sans oser faire quoi que ce soit. Certains avaient l'audace de laisser les vagues venir jusqu'à leurs pieds tandis que d'autres privilégiaient le contact avec le sable fin de la plage. Quant à moi, j'avais posé une main sur le bord d'une chaloupe, indécise. Nous ne pouvions pas rester là mais nous était-il encore possible de traverser sans éveiller l'appétit insatiable des sirènes ? Dans mon dos, je sentis le regard fixe des pirates. Mais cette fois, je ne savais pas quoi leur dire. J'avais proposé à l'aller que nous soyons silencieux pour ne pas les attirer. Cela n'avait pas fonctionné. Il avait fallut que je me transforme. Néanmoins, si les sirènes avaient été impressionnées par mon statut de Sirène aux Ecailles de Lune, elles ne l'avaient pas été très longtemps. Ainsi, je n'avais plus de solution.
- Ils aimeraient que tu leur parles, déclara Jonathan à côté de moi. - Je ne sais pas quoi dire. - Rassure-les, alors. - Je ne peux pas, Jonathan, avouai-je. Les sirènes sont là, je le sens. Les pirates les plus proches de moi frissonnèrent et scrutèrent l'eau avec anxiété.
- Il y a forcément une solution, tenta Duncan. Sa voix rocailleuse résonna et ricocha sur les rochers de la Baie. Oui, il y avait forcément une solution mais je ne la connaissais pas.
- Le plus simple serait peut-être de leur demander, finit par dire Victor en s'approchant. - Leur demander ? m'étonnai-je. Demander à qui ? - Aux sirènes. (Je frémis.) Tu peux communiquer avec elles. Lorsque Victor s'était rapproché de moi, quelques pirates avaient reculé de deux pas en arrière. Le Voyant provoquait encore des réactions antipathiques chez les flibustiers. Je haussai les épaules. C'était certes le moyen le plus simple mais ce ne serait peut-être pas le plus concluant. Cependant, je n'avais pas d'autres idées. Je m'avançai dans l'eau jusqu'à ce que je sente la fraîcheur de l'eau mordre mes chevilles. Je n'avais aucun risque de me transformer, il fallait pour cela que l'eau atteigne le haut de mes cuisses. Les bras le long du corps, tremblante de froid et de peur, j'appelai les sirènes et leur demandai de venir. La surface de l'eau ne se troubla pas. Je me retournai vers Victor.
- Chante, fit-il. Elles aiment que l'on chante. Je regardai à nouveau devant moi, les yeux posés sur l'horizon. Le soleil était haut dans le ciel, il était midi passé. Après une profonde inspiration, j'ouvris la bouche et laissai s'échapper les notes qui m'étaient à présent si familières malgré une année passée sans les avoir fredonnées.
- Yo ho, yo ho, vive la piraterie... L'étrange écho du lieu m'accompagnait à chaque note que je chantais, m'enveloppant dans un état de quiétude intrigante. Bientôt, l'eau se rida et des queues de poisson se dessinèrent au loin. Des chevelures blondes, brunes ou rousses, passèrent près de moi en frôlant mes jambes. Je n'avais pas fini le deuxième couplet lorsqu'un visage narquois émergea des Caraïbes. Ses yeux plus noirs que l'encre me fixèrent avec intensité. Une autre créature surgit, des mèches de cheveux collées sur le front. Au final, elles étaient quatre, plus terrifiantes les unes que les autres. Leurs épaules sortaient à peine de l'eau, elles devaient être à demi allongées sur le ventre. L'une d'entre elles, une brune aux cheveux extrêmement longs et à la peau très blanche, tendit une main vers moi. Sur la plage, les pirates reculèrent vivement. Leur courage légendaire était réduit en poussière devant de telles créatures. Pendant ce temps, la fille de l'eau avait toujours sa main tendue. Je décrivis sa main du regard, perplexe. Que signifiait cette main tendue ? A dire vrai, je n'eus pas besoin de beaucoup de temps pour le savoir. La sirène replongea sa main sous l'eau et agrippa ma cheville. Je poussai un cri de surprise tandis qu'elle tirait mon pied vers elle. Je tombai sur le dos, dévoilant ainsi ma nature de sirène. La créature aquatique lâcha ensuite ma cheville et me laissa m'asseoir dans l'eau, sans tenter de me noyer. Derrière moi, les flibustiers avaient déjà tiré leurs épées et leurs pistolets. Assise sur le sable, de l'eau jusqu'au bas du ventre, je jetai un œil autour de moi. Si la sirène brune avait légèrement reculé, les autres, en revanche, n'avaient pas bougé d'un iota. Je lançai un regard interrogatif à la première.
- Nous acceptons de te parler, d'égales à égale. Le rythme de sa voix était hypnotique. Les consonnes étaient percussives alors que les voyelles étaient tenues un peu plus longtemps que la moyenne. Elle toisa les pirates sur la plage.
- Malgré la faim de nos sœurs, nous ne les attaquerons pas pendant notre conversation. - Nous laisserez-nous traverser ? L'une des sirènes l'accompagnant adressa un sourire ravageur à l'équipage. La brune la rappela à l'ordre d'un regard autoritaire.
- Qui êtes-vous et que nous voulez-nous ? l'interrogeai-je en frissonnant. - Mon nom est Zira, je suis la maîtresse de ce lieu depuis le départ de Lyrina. - Elle n'est jamais revenue à la Baie ? (Zira secoua la tête délicatement.) Je croyais qu'elle était revenue ici après nous avoir menés jusqu'au temple... - Quoiqu'il en soit, reprit-elle, tu m'as appelée et je suis venue à toi. A présent, je vais vous aider, toi et ton équipage, à regagner ce navire. Telle est ma mission. Je posai mes mains sur ma queue de poisson et suivai du doigt les cicatrices, pensive. La mission de Lyrina avait été de nous conduire au temple avant d'oublier ce qu'elle était devenue pour être à nouveau cette créature sans cœur qui hantait les fonds marins de la Baie. Lyrina et Zira avaient quelque chose en commun. La chanson d'Appel...
- Est-ce ma chanson qui t'a dévoilé ta mission ? - Plus ou moins. Elle fit un signe aux sirènes près d'elle. Les créatures hochèrent la tête, sourirent une dernière fois et plongèrent sous l'eau, tout cela dans un silence angoissant. Zira leva à nouveau ses yeux d'encre sur moi. Devant mon air inquiet, elle déclara :
- Je leur ai simplement demandé de nous laisser. Pourraient-ils en faire de même ?
Du menton, elle désigna les pirates. Je me retournai vers Dirk et lui indiquai d'un hochement de tête qu'ils pouvaient me laisser seule. Dirk lança un ordre et l'équipage s'éloigna de nous. Lorsque Zira fut sûre qu'ils étaient suffisamment loin, elle m'expliqua :
- Petite Leanne, cette chanson, ta chanson d'Appel, est l'un de tes pouvoirs les plus puissants mais également l'un des seuls. Où que tu sois dans le monde et qu'importe le moment de la journée, cette chanson t'apportera l'aide précieuse d'une sirène ayant entendu ton appel. Cette sirène devient pour un temps limité ta Penseuse. Tu peux utiliser ta chanson d'Appel autant de fois que tu le désires à la condition que tu respectes un intervalle d'un an entre chaque appel. J'eus une pensée émue pour Lyrina. Elle avait été ma première Penseuse et la première sirène à accepter de m'aider. Aujourd'hui, elle n'était pas de retour à la Baie et elle n'était peut-être même plus en vie.
- Qu'entends-tu par « un temps limité » ? la questionnai-je. - Le temps que durera la mission qui nous est donnée. Le temps de Lyrina s'est arrêté au moment même où votre navire a jeté l'ancre près de l'île des Navires Perdus. Le mien s'arrêtera lorsque l'équipage et toi aurez regagné sains et saufs le pont de votre bateau. Sous l'eau, les longues nageoires de Zira frôlèrent les miennes, provoquant des frissons le long de ma colonne vertébrale. Malgré son apparente serviabilité, elle demeurait une sirène dévoreuse d'hommes.
- Pourquoi est-ce un pouvoir si puissant à tes yeux ? L'amertume remplaça le calme de son regard.
- Leanne, tu sais ce que les sirènes sont. Ce que nous sommes. Des mangeuses d'hommes, jamais rassasiées, toujours en quête d'une goutte de sang humain. Nous sommes des monstres même si nous n'en avons pas conscience. - Je ne suis pas comme ça, répliquai-je, piquée à vif. - Bien sûr que si. Si tu ne te jettes pas à l'eau et que tu ne dévores pas de chair humaine, c'est parce que tu as quelque chose qui t'en empêche et qui nous fait cruellement défaut : une part d'humanité. Cette fois, c'est la douleur qui marquait le visage parfait de la sirène.
- La chanson d'Appel est un moyen inespéré de mettre de côté notre nature de sirène et d'être autre chose qu'un monstre marin. Cette chanson offre à la sirène appelée une conscience et un petit bout d'humanité. - C'est pour cette raison que tu ne m'as pas attaquée, devinai-je. - Et c'est aussi pour cette raison que je vais t'aider à retourner sur le navire. Une fois que tout l'équipage aura retrouvé les planches du pont, je devrais renier cette humanité fraîchement acquise pour recouvrer ma nature profonde de sirène mangeuse d'hommes. Zira se tut, les yeux dans le vague, les coins de sa bouche finement dessinée tremblotants. La chanson d'Appel offrait effectivement à la sirène appelée une conscience, un bout d'humanité mais également des émotions et de l'espoir.
- Seras-tu capable d'abandonner cette humanité ? - Je n'ai pas le choix. - On a toujours le choix, Zira. Elle sourit et poussa un petit soupir.
- Les sirènes ne sont pas humaines. Cette part d'humanité que nous confère ta chanson, nous n'avons pas le droit de la conserver une fois notre mission achevée. - Que risquez-vous ? - Je préfère rester ignorante à ce sujet. Zira ramena une longue mèche brune sur son épaule et y passa distraitement ses doigts. Son visage avait quitté le calme froid qui m'effrayait. Elle était à présent plus humaine que jamais.
- J'ai encore une question, fis-je, gênée d'avoir tant d'interrogations. - Tu as toujours tellement de questions, petite Leanne. - Comment une sirène abandonne-t-elle son humanité ? Elle leva brusquement les yeux sur moi.
- Il y a certaines choses que tu ne dois pas savoir. Elle disparut sous l'eau pour réapparaître quelques mètres plus loin. Je quittai l'eau froide de la Baie et me mis debout sur mes deux jambes, trempée jusqu'aux os. Les yeux de Zira refusaient de me regarder, sans doute ma question l'avait troublée.
- Vous pouvez traverser sans crainte, dit-elle d'une voix forte. Les sirènes n'attaqueront pas les chaloupes. Sur ces mots, elle disparut définitivement dans les eaux sombres de la Baie, laissant derrière elle des pirates heureux bien que encore sous le choc. Je n'étais personnellement plus si pressée de retourner sur le pont du Cœur des Caraïbes. Une fois que tout l'équipage aura retrouvé le bois rassurant du bateau, Zira abandonnera ce qui lui avait tant manqué ces derniers temps : l'humanité. Nous eurent besoin de beaucoup moins de temps qu'à l'aller pour traverser la mer jusqu'au navire. Malgré le fait que nous puissions parler librement, les hommes ne se hasardèrent pas à émettre le moindre son, surtout Dirk et Elijah qui avaient succombé aux charmes des créatures lors de la première traversée. Le silence était pesant mais les respirations étaient plus détendues. Lorsque le dernier homme de la dernière chaloupe monta à bord, je posai mes mains sur le bastingage, les yeux sur les eaux de la Baie. Elles avaient recouvré leur calme habituel, si caractéristique de cet endroit de mort. Zira était sans doute déjà redevenue une sirène comme les autres. Dirk ordonna à deux hommes de lever l'ancre et demanda à Colin d'aller tenir le gouvernail. Tant que nous savions pas où se trouvait le Red Stone, nous ne pouvions nous permettre de voguer en mer, sans le moindre cap. La tempête que nous avions essuyé nous avait suffit. Nous avions besoin de repos. Apparemment, nous n'étions pas si loin des côtes jamaïcaines. Dirk y connaissait un village fort sympathique où nous pourrions rester quelques nuits, le temps de savoir où aller. S'il était plutôt aisé de donner un cap et de nous rendre sur une île, il était en revanche compliqué de retrouver un navire d'une discrétion redoutable. Je n'avais pas quitté le bastingage lorsque le navire quitta la Baie de la Mort, beaucoup plus serein qu'au moment de son arrivée. J'observai en silence la forêt où se cachait la Caverne aux Stalactites, la plage où les cocotiers ne poussaient pas et les eaux où les sirènes attendaient, l'appétit toujours aussi féroce. Puis je me mis à penser à Lyrina. Si elle n'était pas revenue à la Baie pour y redevenir une sirène normale, où était-elle ? Etait-elle encore en vie ? Lyrina, tu me manques, tu sais. Une main se posa avec douceur sur mon épaule.
- Tu as su trouver les mots pour négocier avec cette sirène, dit Jonathan. - J'ai su trouver les notes, souris-je. Je me tournai vers lui.
- Vous n'êtes pas venu me parler de la discussion que j'ai eue avec Zira. - Non, effectivement. Jonathan esquissa un sourire gêné.
- Je... J'aimerais beaucoup en savoir plus sur... - Sur... ? l'encourageai-je. - Sur ce naufragé seul sur cette île déserte. Tu avais dit que... Je lui fis signe de me suivre. Sous l'escalier menant au gouvernail, Robinson Crusoé était posé bien en évidence sur un baril. Cet endroit était devenu mon coin de lecture et il n'était pas rare que j'y laisse un livre ou deux. Je m'assis à même le sol, le dos contre le tonneau. Jonathan m'imita et croisa ses longues jambes en tailleur. J'ouvris lentement le livre, autant pour savourer le toucher du papier sous mes doigts que pour faire trépigner Jonathan d'impatience. Je jetai un œil sur son visage : ses yeux étaient devenus ceux d'un enfant, pressé de recevoir un cadeau. La candeur de son regard me toucha. Je baissai la tête.
- En 1632, je naquis à York, d'une bonne famille, mais qui n'était point de ce pays. Mon père, originaire de Brême, établi premièrement à Hull, après avoir acquis de l'aisance et s'être retiré du commerce, était venu résider à York, où il s'était... |
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