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 Lune T2/Chapitre 17

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quelemondeestbeau
Poète
quelemondeestbeau

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Lune T2/Chapitre 17 Empty
MessageSujet: Lune T2/Chapitre 17   Lune T2/Chapitre 17 EmptyMar 2 Déc - 16:42

XVII.
Père et fils

Déjà le soleil se couchait, loin derrière le Cœur des Caraïbes. Dans quelques minutes, la nuit sera aussi noire que le charbon et seules les lanternes brillant sur le pont parviendront à vaincre cette obscurité. Dirk abandonna le gouvernail au profit de Colin pour aller se reposer tandis que Victor quittait le nid-de-pie auquel était affecté Elijah. Alexander dormait depuis vingt minutes.
Jonathan, assis en tailleur depuis le début, jeta un œil autour de lui. Je terminai la phrase que je lisais avant de regarder à mon tour. Bientôt, le ciel sera trop sombre pour que je puisse lire correctement.

- Je crois qu'il est temps pour moi d'aller travailler, déclara Jonathan en s'étirant.
 
Je refermai le livre en prenant soin de glisser une feuille de papier à l'endroit où j'avais arrêté ma lecture. Le pirate se leva lentement, fourbu, et resta un instant sans rien dire, les mains sur les hanches. Il s'appuya ensuite contre l'escalier menant au gouvernail.

- J'espère qu'il s'en sortira vivant.
- Qui donc ? demandai-je.
- Robinson Crusoé. Il s'est tellement battu pour survivre... J'espère de tout cœur qu'il retrouvera les siens.
- J'espère aussi.
 
Après un dernier hochement de tête plein d'espoir, Jonathan s'avança vers les cordages, où l'attendait Edmund. La nuit allait être longue pour eux, ils n'allaient pas être remplacés avant trois ou quatre heures du matin.
J'observai Jonathan, qui me tournait le dos, avec un sourire. Tout en lui me rappelait un enfant perpétuellement émerveillé : son regard rieur, ses remarques candides et ses mèches de cheveux rebelles qui lui donnaient un air de gamin des rues, perdu entre l'espièglerie et la naïveté. Cependant, dès qu'il se mit à travailler avec Edmund, Jonathan retrouva son allure d'homme de vingt-cinq ans, mature et adulte.
Victor, qui venait de s'entretenir avec Elijah – l'un des seuls à ne pas le rejeter –, se dirigea vers moi, avec cette démarche qui lui était propre. Son regard de vieux renard scruta attentivement le pont et les pirates qui y travaillaient, suscitant parfois un frisson chez certains. Je le vis réprimer un sourire de satisfaction. Lorsqu'il fut assez près de moi, je le réprimandai gentiment :

- Vous ne devriez pas leur faire peur.
- Je ne vois pas du tout pourquoi tu dis ça.
 
Je lui lançai un regard que je voulais moralisateur. Le Voyant rit avant de reprendre, soudain très sérieux :

- Trêves de plaisanteries, j'ai deux nouvelles pour toi.
- Quel genre ? m'intéressai-je.
- Une bonne et une mauvaise.
 
Il jeta un coup d’œil discret aux flibustiers présents sur le pont et se rapprocha de moi. Il n'y avait sur son visage plus aucune trace de ruse, seulement une gravité saisissante. Moi qui commençait à le connaître, je ne l'avais jamais vu aussi sérieux et précautionneux. Comme il ne disait toujours rien, je finis par m'impatienter. Le Voyant le sentit.

- Une minute, Leanne.
 
Il lança un ultime regard autour de lui avant de river ses yeux aux miens. L'iris de ses yeux, d'ordinaire gris ardoise, s'était obscurci brutalement.

- Bien, laissa-t-il tomber, nous ne risquons plus rien. (Je l'interrogeai du regard, inquiète mais lui fit mine de ne pas remarquer mon regard.) Leanne, comme je te l'ai dit, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c'est qu'un homme sur ce bateau a fait partie de l'équipage du Red Stone. Il pourra sûrement nous dire où se trouve le navire à présent.
- Et... la mauvaise ?
- La mauvaise, c'est que cet homme dont je t'ai parlé...
 
Une voix héla Victor de l'autre côté du Cœur. Ce dernier se retourna, fébrile, vers l'origine de cet appel. Au bout du bateau, près de la figure de proue, Duncan faisait de grands signes à Victor. Son air renfrogné ne laissait rien présager de bon pour le Voyant. Il tenta de reprendre sa phrase mais le cuisinier, las d'attendre Victor, s'avança vers nous d'un pas déterminé.

- Tu trouveras la réponse sur le fer, débita-t-il énigmatiquement.
 
Il lâcha mon regard, posa sur son visage un masque enjoué et alla à la rencontre de Duncan. Le cuisinier l'attrapa par l'épaule et l'emmena dans les entrailles du navire.
 
Qu'avez-vous encore fait, Victor ? songeai-je en soupirant intérieurement.
 
Victor avait toujours des ennuis. Néanmoins, il savait comment s'en tirer avec élégance et malice. Ainsi, je ne fis aucun souci pour le Voyant, qui devait déjà user de mille et une pirouettes pour s'en sortir sans une égratignure.
Je quittai mon coin de lecture fétiche et m'avançai sur le pont, Robinson Crusoé serré contre mon cœur. Autour de moi, tout le monde s'activait, même si les hommes étaient moins dynamiques la nuit qu'en journée.

Tu trouveras la réponse sur le fer.
 
Je détestais les énigmes de Victor. Elles étaient bien plus dures à résoudre que les énigmes  du jeu de pistes. Il m'avait fallut un temps fou pour comprendre sa dernière énigme – Remonte aux origines.
Je levai les yeux au ciel. Sur le nid-de-pie, Elijah semblait parfaitement à sa place, sa chemise blanche à demi ouverte et ses bouclettes brunes flottant au vent. A dire vrai, tous les pirates du Cœur semblaient parfaitement à leur place. Quant à moi, j'avais du mal à me sentir à ma place alors que Spark était encore en danger. Une fois le capitaine du Cœur libéré, peut-être serai-je plus à l'aise.
Je m'assis sur les marches de l'escalier menant au gouvernail, le livre sur mes genoux. Mon esprit était focalisé sur cette énigme. Comment une simple phrase pouvait m'obséder à ce point ? Les côtes jamaïcaines n'étaient plus si loin et j'avais envie de croire que le calme de cette île me permettrait de trouver la solution.
Je baillai à m'en décrocher la mâchoire. Il était trop tard pour réfléchir, j'avais besoin de sommeil. Je quittai la marche où j'étais assise et rentrai dans ma cabine, fatiguée et intriguée par cette phrase. Malgré ma détermination à ne plus y penser pour aujourd'hui, je savais qu'elle m'empêcherait de dormir. La solution de cette énigme m'offrait un moyen inestimé de retrouver le Red Stone : un homme y ayant travaillé.
J'abandonnai mes bottes à l'entrée de la cabine et jetai ma veste sur le bureau, manquant de faire tomber quelques bibelots de valeur. Sur son perchoir, Blake dormait déjà. Un léger sifflement s'échappait de son bec à chaque fois qu'il inspirait. Je souris avec tendresse et rejoignis mon lit. J'avais sous-estimé le pouvoir de la fatigue : les yeux à peine fermés, un sommeil profond me happa.

***

Lorsque j'ouvris les yeux sur les coups de huit heures, Blake était tranquillement posé sur un oreiller et jouait avec une mèche de cheveux échappée de ma tresse. Je lui gratouillai la tête. Il leva ses yeux sur moi et je crus y lire de l'amitié. Il y avait dans ce regard quelque chose d'humain, Blake n'était pas un perroquet comme les autres. Je sentais dans sa gestuelle et dans sa manière de me regarder qu'il n'était pas un simple perroquet.
On toqua à ma porte. Je me levai, l'esprit encore embrumé et allai ouvrir. De l'autre côté de la porte se tenait Dirk. Il était visiblement très ennuyé. Dans mon dos, Blake poussa un petit cri de joie à la vue de son maître. Dirk réagit à peine à l'appel de son oiseau.

- Leanne, il y a eu un problème avec Victor.
 
J'enfilai mes bottes à la va-vite, plus réveillée que jamais.

- Que s'est-il passé ? Il est blessé ?
- Non, ce n'est pas ça.
- Quoi alors ?
 
Dirk hésita. Il appuya son bras au chambranle de la porte et observa le pont derrière lui.

- J'ai préféré ne rien te dire, étant donné que tu t'es attaché à lui, pour une raison que j'ignore.
- Il lui est arrivé quelque chose ? le questionnai-je, le cœur battant.
- Ça s'est passé pendant qu'Alexander et toi exploriez la grotte à la Baie de la Mort. Il y a eu une bagarre dans les bois entre deux pirates. Lorsque je suis arrivé sur les lieux, les hommes avaient bloqué Victor contre un arbre et l'ont désigné comme responsable de la bagarre. Sa version de l'histoire ne m'a pas convaincu.
- Qu'avez-vous fait ?
 
J'étais de plus en plus nerveuse. Sur un bateau pirate, un élément perturbateur peut, si le capitaine le décide, être purement et simplement éliminé. Dirk ne répondait pas. Je réitérai ma question.

- Nous ne l'avons pas exécuté, si c'est ce que tu crains. (Je soupirai de soulagement.) Nous l'avons mis aux fers.
 
Sans rien ajouter, j'attrapai ma veste et me ruai à l'extérieur de la cabine. Comprenant mon intention, Dirk me prit par le bras, m'empêchant ainsi d'aller plus loin.

- Je ne veux pas que tu ailles le voir.
- De quel droit me l'interdisez-vous ? répliquai-je, une pointe d'insolence dans la voix.
- Je suis le capitaine de ce navire et je demande à ce que mes ordres soient respectés.
- Le capitaine du Cœur, c'est Spark.
 
Dirk se tut et lâcha mon bras.

- Tu n'as toujours pas compris, alors... fit-il.
- Depuis que je suis revenue sur le Cœur, on me demande sans cesse de comprendre. J'en ai assez de devoir tout comprendre par moi-même. Pourquoi vous ne m'expliqueriez pas, pour changer ?
 
Il hocha lentement la tête. Je regrettais déjà les mots que j'avais dit. Comment avais-je pu me permettre d'être aussi insolente et dure avec Dirk, lui qui m'a accueillie sur le Cœur et qui me traitait comme un membre à part entière de l'équipage ?

- James Spark n'est pas encore capitaine du Cœur. Il le sera le jour de ma mort, lorsqu'il héritera du bateau.
- Attendez... Si Spark ne deviendra capitaine que le jour de votre mort, cela fait donc de vous...
- Le père de James.
- James et Jonathan sont vos fils ? demandai-je, hébétée.
 
Dirk se contenta d'acquiescer. Tout prenait sens à présent.

- C'est pour ça que vous voulez tant retrouver Spark...
- Quel père laisserait son enfant aux mains d'hommes dangereux et sans remords ?
 
Cette question rhétorique me fit penser à mon père, lui-même soucieux de ma sécurité. Le désespoir de Dirk face à l'enlèvement de son fils aîné me rappela combien mon père était inquiet pour moi et à quel point son inquiétude m'avait semblé infondée. Je l'avais accusé d'être égoïste en m'empêchant de partir aider Spark. Je n'avais pas imaginé un seul instant à la peur constante que mon départ allait provoquer dans le cœur de mes parents. La perspective de devenir une pirate me paraissait beaucoup moins séduisante tout-à-coup.

- Excusez-moi, Dirk. Je n'aurais pas dû vous parler comme je l'ai fait.
- C'est à moi de m'excuser. Tu as raison, j'aurais dû te le dire plus tôt. D'ailleurs, je ne comprends pas ce qui m'en a empêché, avoua-t-il. Qu'importe, à présent, tu sais la vérité.
 
Il me tourna le dos et commença à s'avancer sur le pont. Il s'arrêta brusquement pour me lancer un dernier regard.

- Cela ne change rien à ce que je t'ai dis : interdiction de descendre dans la cale pour aller voir Victor. Promis ?
- Promis, fis-je de mauvaise grâce.
- Je ne plaisante pas, Leanne.
 
Sur ce, il retourna travailler. Je le vis monter les escaliers menant au gouvernail. J'appuyai mon dos contre la cloison en bois qui séparait la cabine du pont. Victor avait certes un caractère fort et la bagarre faisait partie de son quotidien. Néanmoins, ce n'était pas un homme belliqueux, il ne se battait pas sans raison. Je soupçonnai l'un des pirates de l'avoir provoqué verbalement afin de déclencher une bagarre. Je devais trouver cette personne. Mais, avant tout, je devais comprendre le sens de Tu trouveras la réponse sur le fer.
Je m'assis sur le bord de mon lit. Que voulait Victor par « le fer » ? Pour autant que je sache, le Cœur ne transportait pas de lingots de fer ou de fer sous n'importe quelle autre forme. Mais si Victor m'avait parlé de fer, c'était qu'il y en avait forcément à bord du navire. La question était de savoir où.

- Blake, a-t-il la moindre idée de ce que l'on peut faire avec du fer ?
 
Je me retournai vers l'oiseau, qui se grattait la tête avec concentration. Évidemment, il ne me répondit pas.

- Avec du fer, on fait des chemins de fer, réfléchis-je à voix haute, on fait des meubles en fer forgé. On fait des épées aussi et on peut faire...
 
Je me tus.
 
Des épées...

- Tu trouveras la réponse sur le fer, répétai-je. La réponse est sur une épée !
 
Je lançai un regard au perroquet, sur son perchoir. Ses yeux croisèrent les miens et il s'envola, pour venir se poser sur mon épaule. Debout sur le seuil de la cabine, face au pont toujours en activité, je me mis à sourire. Lorsqu'ils travaillaient, les pirates ne portaient pas ni épée, ni dague. Ils allaient les chercher dans une pièce spéciale située dans la cale. Je connaissais par cœur le navire et ses cales.
Le plus naturellement du monde, je me dirigeai vers l'escalier menant aux cales. Il y en avait deux sur le navire. Le premier, situé juste devant la cabine, descendait au premier niveau du bateau tandis qu'un deuxième, situé juste à l'étage du dessous, menait aux geôles, où j'avais pour l'instant interdiction de me rendre. J'empruntai le premier escalier, qui débouchait sur un long couloir desservant plusieurs salles. Je connaissais chacune de ces portes et je savais aussi que l'armurerie du navire était plus loin, à l'avant du bâtiment. Tout le long du couloir se trouvaient de puissants canons, qui se recouvraient lentement de poussière. Il y en avait cinq de chaque côté, à chaque niveau du bateau, y compris sur le pont. Je passais juste à côté du dortoir, où certains pirates devaient encore se reposer. Quelques uns ne commençaient qu'à partir de dix heures.
J'atteignis enfin l'armurerie, au bout du couloir. Lors de mon premier séjour sur le Cœur des Caraïbes, Spark m'avait interdit de m'y rendre à cause des réserves de poudre qui y étaient stockées. Si j'avais appris à me servir d'une épée, je savais en revanche toujours pas utiliser un canon. Pas de risque que je touche aux barils de poudre du navire.
J'ouvris la porte sans un bruit et détaillai rapidement la pièce du regard. Personne. J'allumai la petite lampe à huile, posée sur un guéridon, et me dirigeai vers le tonneau où étaient entreposées les nombreuses épées de l'équipage. Chaque pirate avait sa propre lame, qui ne ressemblait à aucune autre. Rien qu'en admirant les poignées, parfois serties de pierres précieuses ou finement taillées, je reconnus les épées de chacun. La poignée incrustée de petites émeraudes appartenait à Dirk tandis que la poignée en or et argent appartenait à Colin. Jonathan possédait l'épée avec une poignée sertie de lapis-lazuli. J'aperçus du coin de l’œil une poignée dorée, non taillée. J'y posai ma main : c'était l'épée de Spark.
Dans un deuxième tonneau se trouvaient les épées des recrues de Port-Royal. Les poignées étaient très simples et seule une initiale gravée sur la lame permettaient aux jeunes flibustiers de retrouver leur arme. Je passai en revue les initiales.

W pour Wilhem, E pour Elijah, T pour Timothy, A pour Aidan...
 
La dernière épée n'était pas comme les quatre premières. Je sortis du tonneau l'épée – qui était sans aucun doute celle de Lewis – et observai l'arme à la lumière. La poignée n'était pas en or mais des emplacements vides laissaient supposer que des gemmes la décoraient. Je cherchai l'initiale de Lewis à l'endroit où j'avais trouvé celle des quatre autres pirates. Sans succès. Il n'y avait pas de L gravé sur la lame. Néanmoins, une inscription attira mon regard. J'approchai un peu plus la lame de la lampe à huile et hoquetai de surprise. Sur la lame, ni l'initiale de Lewis ni même son prénom n'avait été gravé. C'est un tout autre nom que je lus.

Braen.
 
Autrement dit, si cette lame était celle de Lewis, cela signifiait qu'il avait fait partie d'un équipage particulier. Un équipage dont le capitaine avait l'habitude de ne pas employer les véritables prénoms de ses membres. Un équipage dont avait fait partie Lugh, que le capitaine surnommait Ailill. L'équipage du Lost Soul puis du Red Stone.
Lewis en avait été membre, ce qui expliquait sa franche hostilité à mon égard. Il savait sûrement où était le navire à cette heure-ci. Néanmoins, une question me titilla : si Lewis avait été pirate sur le Red Stone, pourquoi l'avait-il quitté et était-il allé à Port-Royal ?
Je reposai l'épée et sortis de l'armurerie. Je devais absolument parler à Victor.


Dernière édition par quelemondeestbeau le Dim 7 Déc - 18:55, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Lune T2/Chapitre 17   Lune T2/Chapitre 17 EmptyDim 7 Déc - 12:15

Excellent ! Quel récit et quelle narratrice tu es ! J'ai vraiment hâte de connaître la suite de cette aventure.

You are the best Love !
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Lune T2/Chapitre 17

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