La grâce du geste était merveilleuse et nul n’aurait pu trouver critique. Pourtant, lui, en trouva. La position du majeur devait être plus légère comme si l’on tentait de caresser une plume, inexistante bien sûr.
- Plus ample ! Plus ample !
- Oui, monsieur. Ça y est là, non ?
- Ne parlez pas. Dansez ! La danse est parole, la vôtre. Exprimez tout ce que vous sentez. Colère !
Les pieds se mirent à tourbillonner ensemble, le corps s’affinait, s’aspirait vers le haut, la poitrine se bombait et enfin, le tout s’arrêtait sur ce brillant geste du bras comme accroché à un objet indéterminé placé au-devant. Cet objet, la mort ou peut-être une personne, est cause de toute la rage contenue. Le regard persistant, les yeux tels des fentes obscurcirent le visage où les traits se raidissent, froids. Les muscles étaient si tendus dans l’effort qu’elle faillit rompre la pose.
- Bien, bien. A présent, montrez-moi la … peine.
Une mollesse quoi que rehaussée d’une tendresse ineffable qui voulait empoigner le cœur du spectateur s’empara de l’être de la danseuse. S’en suivirent de grands pas chassés mêlés de tours sur elle-même majestueusement orchestrés. Elle fit mine de tomber mais ce n’était qu’une ruse qu’il lui avait apprise pour saisir le public. Il lui fallait se courber en avant, le dos arrondi à la perfection, les bras non pas ballots mais toujours et encore gracieux, le bout des doigts se touchant sans jamais vraiment s’étreindre. Ils se suivaient jusqu’à ramener son buste en arrière, les yeux levés au ciel et par-derrière son dos, lasses, tout plein de mélancolie semblaient fixer un passé lointain comme celui dans lequel s’étiolent encore les amours de jeunesse.
- Parfait.
Elle s’inclina d’une façon tout à fait noble et propre à l’image de l’artiste qu’il façonna.
- Tu peux tomber maintenant.
La danseuse savait qu’évidemment, elle ne pouvait pas s’abattre de tout son long. Elle se contenta de croiser les jambes et de s’asseoir puis elle procéda à des étirements nécessaires et douloureux. Il l’exhortait sans cesse à discipliner son corps, à le raffermir à outrance ce qui coûta à sa protégée des déchirements musculaires. Il s’en moquait éperdument : elle n’était qu’un jouet. Pas n’importe lequel tout de même ! SON jouet, son fétiche. Il connaissait l’intégralité de sa vie d’enfant rejeté et de son corps de déesse. Il ne pouvait pas s’imaginer sans elle car elle lui a redonné le goût pour une chose bien plus précieuse que la danse, la vie. Elle lui était apparue un jour qu’il arrangeait ses affaires et s’apprêtait à se jeter par-dessus un pont. Une fin sordide dont lui préserva celle qui cogna à la porte, l’air éperdu et malade. Son corps était couvert d’ecchymoses, sa bouche se tordait affreusement, ses vêtements étaient déchirés aux genoux et ses mains étaient couvertes de sang. On aurait dit qu’elle s’était enfuie d’un endroit où on la retenait prisonnière ou qu’elle s’était faite agressée et qu’elle avait lutté avec son agresseur. Quelle qu’en fusse la raison, il la recueillit et ne chercha même pas à lui poser des questions. Il pansa ses blessures avec minutie et douceur, lui offra de quoi manger et dormir. Il se jura de prendre soin d’elle tant qu’elle était sous son toit et veilla toutes les nuits sur elle. Un soir, elle se réveilla en sursaut en hurlant et il fut là, tout prêt d’elle, pour la consoler. Leurs yeux se croisèrent, le désir les alimentait et s’empara d’eux. Il n’y eut pas une fois où il oublia cette nuit pendant laquelle leurs corps s’épousèrent, quand ses mains s’extasièrent sur son corps frêle et délicieux pour s’en accaparer l’essence. Elle n’eut jamais la force de partir et se plia d’entrée à ses exigences car elle avait trouvé quelqu’un pour l’aimer tel qu’elle le voulait. Elle avait apprécié sa façon de l’apprivoiser et de l’élever au centre de son monde à lui. Elle était sa marionnette et son bourreau. Lui était son maître et son esclave.
Mignardise
PS : je ne sais pas si je devrais donner une suite à ce texte... Si vous voulez me laisser des suggestions, j'en prendrais compte. Merci.