Philippe Invité
| Sujet: Tatiana Mer 26 Jan - 19:37 | |
| Tatiana
Comment dire ce qui est impalpable sinon en faisant ruisseler mon sang sur ce papier couché, là, au beau milieu de ce parterre enneigé où git mon désespoir ? Mes mots se perdent dans la profondeur de la terre russe, sans que jamais leur écho ne puisse atteindre la cime de ton cœur. Ma vie me semble alors être un jour éternel de souffrances dont les pics acérés s’enfoncent dans la chair délicate de mes émois. Toi, Tatiana, dont le prénom résonne dans ma bouche en syllabes veloutées, le « ta » de talisman que je porte sur mon cœur qui bat la chamade et sur lequel sont gravées les lignes délicates de ton visage d’ange, le « tia » de tiare que tu dresses en oriflamme d’or sur ta chevelure de déesse et de laquelle s’exhale le parfum rare de la souveraineté que tu as imposé à mon âme, le « na » de narguilé qu’est ta douce voix dont j’inspire les volutes chamarrés et m’emplit les poumons d’un nectar de bonheur ; tu as osé te répandre dans la steppe de mon cœur, jusqu’alors clos à tout amour, et le transformer en une forêt touffue de passions. Et ce jour qui s’écoule lentement me fait songer aux flammes de l’Enfer tant il m’est horrible de t’aimer sans que tu n’en fasses autant, sans même que tu ne saches tout ce que je ressens pour toi.
Les cieux se drapent sensuellement de leur robe bleu azuré, alors que disséminés dessous les nuages peluchent l’immensité d’un coton tendre. A travers les vitres de la véranda, recouvertes par la rosée matinale, je contemple ce spectacle si habituel aux scientifiques mais si poétique aux yeux de celui qui aime. Ma datcha a plongé ses racines au plus profond de la toundra où s’égaye en un feu d’artifices sauvage le lichen de mes sentiments. Je songe à tout cet espace vide que tu saurais combler de ta présence en un battement de cils qui noierait mes peines dans des flots de passion. Ma tasse est blanche mais mon café est noir, pas aussi noir que mes ténèbres, celles où réside ma solitude lancinante, la solitude de moi sans toi. Par gorgées fluettes j’avale ce breuvage dont l’amertume n’atteint pas celle que tu me laisses quand tu passes devant moi sans même remarquer ma présence. Chaque vitre de la véranda éclate de mille diamants comme la brillance de tes yeux qui, inlassablement, se tournent vers l’orient alors que je me trouve à l’Ouest. J’ai perdu le Nord en te voyant la première fois, depuis je ne fais qu’errer au beau milieu du lac infini Baïkal où ma barque existentielle prend lentement l’eau avant de de couler à tout jamais. Dehors, déjà, les oiseaux du pôle pépient leur mélopée énamourée tandis que moi je me morfonds dans le silence en ressassant chaque mouvement de ton corps langoureux, un corps qui dispose d’un esprit aussi rutilant que de la lave en fusion ; tu sais bien, Tatiana, ou peut-être ne le sauras-tu jamais, cette lave rougeoyante qui coule au fond de mes veines et dont chaque goutte est une larme que je dépose à tes pieds. La matinée s’égrène en particules de désespoir, et plus le temps passe, plus je me rends compte que ma vie n’a de sens que dans la présence de mon reflet sur tes pupilles dilatées. Je t’aime tant…
Il y est parvenu, il a atteint le zénith ; le soleil, dans sa course effrénée jouit à présent d’une aura particulière, là, juché au cœur du ciel. C’est à ce moment que je me sens au plus bas, battu par le vent de mon amour transi, abattu par la balle glacée de ton ignorance de moi. Recroquevillé dans un coin de la cuisine, j’observe à travers la fenêtre boisée l’horizon si loin en me berçant de l’illusion que je pourrai discerner les sommets de l’Altaï. Mais nulle montagne ne se dessine, seul un mur haut et sombre s’étend devant moi. Qu’est-ce donc que ce mur ? Une barrière infranchissable, celle de ton cœur qui jamais ne battra pour le mien. Cette cuisine résonne étrangement : c’est le bruit de ces cloîtres pour solitaires à vie où jamais ne vibreront les voix cristallines d’enfants. Les tiens, Tatiana, se laissent bercer par ton chant d’amour, l’amour d’une mère qui enveloppe leur vie d’un écrin de bonheur. Ils sont là, tous les quatre, Igor, Svetlana, Pavel et Natasha, à te regarder fixement comme si la Vérité se dissimulait derrière la surface tigrée de tes iris. Et moi, pendant ce temps, je laisse vagabonder mes yeux de la gazinière où brûlent mes illusions au réfrigérateur où refroidissent mes ardeurs. Je me dis que tout mal amène un bien et que ton absence ne saura que faire croître encore plus mes sentiments pour toi. Mais à quoi bon aimer si en retour je ne reçois que la poussière du temps passant où chacune de mes nouvelles rides exprime le fossé qui me sépare de toi ? L’austère et frigide Verkhoïansk me semble plus féconde en tendresse que le vide émotionnel que tu laisses dans ton sillage quand tu te détournes de moi. Je voudrais tant te hurler que je t’aime, ma voix se meure cependant dans ma bouche tant j’ai peur que tu ne te retournes et me dises tout le mépris que tu ressens pour moi. Les secondes sont tièdes, les minutes froides, les heures glacées, le temps ne saurait faire naître un foyer ardent dans ta poitrine. Tu ne m’aimes pas.
La sempiternelle déliquescence de la lumière se joue sous mon regard triste et désabusé. Voilà que le crépuscule remporte à nouveau la bataille divine et que le saphir des cieux se fond dans le drapage noirâtre de la nuit à venir. Affalé dans le sofa, un énième verre de vodka en main, je murmure des mots muets dans le désert de ce salon qui n’a jamais connu la floraison de ton parfum. J’ai l’impression étrange et pourtant réaliste que je suis devenu l’une de ces îles isolées de la Nouvelle-Sibérie, tailladée par un vent glacé, isolée dans le vortex du néant, sans âme qui vive aux alentours sinon le rire grinçant d’un dieu qui l’a abandonnée. Au loin, une voile triangulaire se dessine, c’est la toile blanche de ta robe qui s’agite pour mieux m’exciter, mais qui t’éloigne de moi pour mieux me détruire. Il y a des silences pires que toutes les cacophonies, le silence inhérent à l’absence de l’Autre. C’est alors que ma psyché délétère ose t’imaginer déambuler le long de ma bibliothèque, cherchant avec intérêt un livre qui saurait t’emmener vers des rivages utopiques. Je te vois comme si tu étais là, là, en train de compulser un livre saint si peu orthodoxe qui te chanterait notre amour tel un prophète qui slame. Ce dernier te susurrerait les mots d’amour que je ne puis trouver le courage de te dire, il te révélerait que l’étendue de ma passion pour toi est plus immense que le long cours de la Volga, il te montrerait que pour tout fleuve, c’est l’Amour qui coule aux tréfonds de mon cœur. Or, il n’y a personne. Juste moi. Sans toi. Tatiana. Et mon salon s’enfonce dans le lugubre tandis que je noie ma souffrance au fond de ce verre dont le contenu ne pourra m’égayer, tout juste me faire un tant soit peu oublier que je suis amoureux de toi à en mourir.
La nuit vient de tomber en un glas qui teinte le paysage d’un effroi sans nom. Je me trouve entre le marteau et l’enclume : au-dessus de moi, les ténèbres qui diffusent une odeur pestilentielle, en-dessous, la couverture de neige dont la couleur prend celle des chrysanthèmes fanés. Les battements de mon cœur forment une taïga au plus profond de cette steppe où chaque ombre de pierre me rappelle celle de ta silhouette. Plus tranchante que le couteau. Mon âme lacérée saigne à profusion sans même que tu n’en prennes garde. Tu es à mille lieux de là, lovée dans la luxuriance des lumières de Vladivostok. Et moi que deviens-je ? Une misérable particule de rien qui tournoie autour d’un massif rocheux qui ne daignera jamais déposer son regard sur elle. Allongé sur mon lit au baldaquin sculpté, je regarde cette nuit vide, sans la moindre étoile pour pimenter ma vie, sans lune pour veiller sur mes peines. Il n’y a de pire néant que celui de l’amour sans écho. Une lampe de chevet à l’abat-jour fantaisiste jette des arabesques sensuelles sur le plafond de ma chambre à coucher. Pourtant, plus rien ne danse en moins, tant s’est figé mes espoirs de pouvoir simplement éveiller ta curiosité. Toi, Tatiana, ma petite poupée russe, tu m’ignores et c’est pire que la mort. A nouveau la réalité se dissipe et cède le pas à mes fantasmes qui m’amènent à t’imaginer étendue à mes côtés. Comme j’aimerais de mes lèvres goûter au velours de ta peau, comme j’aimerais de mes mains gravir les monts les plus hauts et traverser les vallées les plus profondes, comme j’aimerais de mon corps frôler ton corps et de ne plus faire de nous qu’un seul et même être. C’est hélas avec une affliction indescriptible que la réalité revient à moi et que ne se trouve à ma gauche qu’un vide abyssal. Perdu dans mes pensées ruinées, je me rends à peine compte que sonne à des kilomètres de là les cloches de l’église. Il est minuit. Un jour vient de passer avec son lot de chagrins incommensurables. Comme d’habitude. Je me dis que, peut-être, demain verra la naissance de ton sentiment pour moi, mais au fond de moi je sais bien que chaque jour à venir ressemblera à celui-là et que je continuerai à songer à toi en parfaite utopie. Jamais tu ne m’aimeras. Jamais. |
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lutece Administrateur-Poète
Messages : 3375 Date d'inscription : 07/11/2010 Age : 67 Localisation : strasbourg
| Sujet: Re: Tatiana Mer 26 Jan - 20:07 | |
| Magnifique, quel plaisir de te relire! |
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féfée Poète
Messages : 2481 Date d'inscription : 10/11/2010
| Sujet: Re: Tatiana Mer 26 Jan - 23:04 | |
| Un écrit vraiment sublime, avec ces références à la Russie qui illustrent si bien le froid, l'absence, et la douleur d'un amour sans retour mais surtout inavoué ... Je suis vraiment très heureuse de te lire à nouveau, avec un si beau texte d'une grande mélancolie, qui nous étreint du début jusqu'à la fin. Merci du partage. (Ne serait-elle pas rousse ?? ) |
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Philippe Invité
| Sujet: Re: Tatiana Dim 30 Jan - 22:24 | |
| Merci à vous deux. Voici un texte qui présume de mes forces : il me fait croire que je puis exprimer la plénitude de mes sentiments en quelques mots. Ce qui s'avère faux. Je ne le peux pas car ce bouillonnement intérieur dépasse l'imaginable, le concevable.
Cette Tatiana, qu'elle que soit la forme qu'elle prenne dans la réalité, n'est pas rousse (ce qui est fort dommage au demeurant !) Mais elle a une très belle chevelure.
disons simplement qu'il est humain d'aimer même si l'on sait que l'on va souffrir après, tant les désillusions seront intenses. Mais bon... Que faire contre l'inévitable ?
Je vous embrasse toutes le sdeux et vous dis à bientôt. |
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F.D. Invité
| Sujet: Re: Tatiana Lun 31 Jan - 20:28 | |
| Merci pour cette promenade au coeur de l'âme russe et de l'amour (c'est digne de Stefan Zweig) |
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Apolline Poète
Messages : 626 Date d'inscription : 23/11/2010 Age : 67 Localisation : Moselle
| Sujet: Re: Tatiana Lun 31 Jan - 23:38 | |
| Oh oui tout à fait d'accord avec F.D. Ton écriture est magnifique, très prenante, les sentiments merveilleusement bien décrits. Merci pour ce moment de lecture intense. |
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Damona Morrigan Fondatrice d'Alchemypoètes
Messages : 4544 Date d'inscription : 06/11/2010 Localisation : Dans la cabane de la sorcière blanche sur l'île d'Emeraude
| Sujet: Re: Tatiana Mar 1 Fév - 18:29 | |
| Absolument sublime ce texte tout comme tu l'es toi mon petit scribe adoré ! J'espère de tout mon cœur que tu trouveras ton âme sœur et quelle chance elle aura d'être aimé par un homme à l'âme magnifique débordante de sentiments aussi profonds ! |
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Philippe W Poète
Messages : 41 Date d'inscription : 10/02/2011 Age : 48 Localisation : Colmar
| Sujet: Re: Tatiana Jeu 10 Fév - 20:56 | |
| Encore un échec pour moi, mais je commence à avoir l'habitude. Peu importe, la vie continue avec ses lots de malheurs et de souffrances. Mais vivre malgré tout... |
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