Carole. Carole aurait vécu si elle n'avait pas recommencé. Carole était une fille bien, une fille très bien même. On la connaissait toujours sage, toujours gentille, même si parfois on la surnommait vilaine. Ses amis l'aimaient. Parfois un peu trop, ou pas assez, mais ce n'était pas grave, cela arrivait. Carole n'était pas du genre à minauder. On tombait, elle relevait, avec un sourire et une mise en garde pour la prochaine fois. Lorsque Carole tombait, il n'y avait plus grand monde pour la relever, mais ce n'était pas grave. Elle n'était pas méchante, juste vilaine parfois. Carole n'était que tendresse. Et un jour, un beau jour ou un jour maudit, l'histoire n'a jamais précisé, un jour en tout cas, Carole a connu l'amour.
L'amour avec un grand G, pour Gentil Garçon. Cet être avec de gros bras, les cheveux au vent, lui qui la faisait rêver, elle l'aimait. Plus que tout. Lui la comblait de bonheur, même s'il n'avait jamais su pourquoi ni comment. Il la comblait et elle le comblait. Plus que tout. Et lui l'aimait. Naïvement. Elle l'aimait, naïve. Confiante. Rien n'aurait su se glisser entre eux, pas même la mort de ces deux êtres si entiers, pas même la mort de leur corps, rien, absolument. Rien que leur amour. Elle l'aimait, c'était clair.
Comme elle aimait aimer ! Quelle joie, quelle douceur, qu'elle était heureuse ! Elle se donnait tout entière à l'amour, corps et âme, dut-elle en souffrir, il l'aurait guérie ensuite. Qu'importait le mal puisqu'elle était maîtresse de tant de bien. La passion. Carole n'était que passion. Une passion dévorante. Une passion amoureuse et dévorante. Une passion qui la dévore, un soir où elle s'en abreuve de trop, une passion qui la dévore vive. L'autre aussi. Et lui avec.
Comme un démon qui brûle au fond de ses entrailles. Mille lames, dix mille couteaux tranchant sa chair dénudée, et ce sang, ce sang qui dégouline encore sur sa peau rêche. Trop lentement. Trop lamentablement. Trop de larmes perdues, trop de passion, trop d'émotion, trop, trop, trop.
Carole est morte. Dans son cœur, elle est morte. Il ne reste plus que lui, et elle. Elle qui a trop aimé. Ou plutôt, qui n'a pas aimé comme il fallait. Elle qui. Qui... C'est la question, qui ? Lui ! Lui bien sûr, lui, Carole l'aime, lui, lui qu'elle n'a pas aimé comme il fallait, lui qu'elle aime et qu'elle aime encore et encore, lui ! Et lui, lui qui se souvient que « rien », « rien que leur amour », que sans amour, il n'y a pas de passion, que sans passion, il n'y a pas d'amour, et ce rien n'est pas encore là, pas encore, pas encore ! De toutes ses forces, il pleure, il saigne, vite ! Pour que ça finisse et qu'ils puissent recommencer. Il fallait qu'il y ait des cicatrices et de mauvais souvenirs. Même s'il avait fallu mal aimer pour cela, il fallait. C'était clair pour lui.
Carole vit. Lui, il lui donne tout. Même ce qu'il n'a pas, il le crée, de tout son cœur il le crée, et il lui offre. Et elle le prend, de tout son cœur, elle le prend, elle le veut, elle l'aime, elle l'aime tant. Elle l'aime.
Et lui, lui seul, pour lui c'est clair, ce ne serait qu'une fois, une seule. Sa cicatrice, son mauvais souvenir, il sentirait toujours ses courbes sous sa main, il s'en souviendrait à jamais. Mais mieux valait pour toujours.
Pour toujours, il la voulait.
Mais non. Carole aime aimer. Carole n'est que passion, elle n'aime pas comme il faut. Carole a recommencé. Carole est morte. A jamais, pour toujours.