Journal d'un Déchu (3)

Troisième entrée.

Votre monde disparaît. Je sais, c'est très - comment diriez-vous? - apocalyptique dis ainsi, mais c'est quelque chose que je peux voir parce que je ne suis d'ici. J'en suis détaché, littéralement. Il se meure... et c'est votre faute. Le savez-vous? Non, je ne suis pas ici pour vous juger. Je suis le Gardien du Temps, pas celui des Âmes. Mais je ne peux m'empêcher de m'interroger à force de vous côtoyer.

Voyez-vous ce que je vois? Voyez-vous la beauté qui vous entoure? Appréciez-vous la caresse du soleil sur votre peau une chaude journée d'été? Savez-vous jouir de la douceur d'une pleine lune la nuit qui lui succède? Avez-vous déjà accueilli avec reconnaissance la plus pure des eaux apaisant votre gorge brûlante? Savez-vous seulement savourer une véritable inspiration, de celle naissant dans l'estomac et vous libérant de toutes vos tensions? Avez-vous véritablement connu l'extase d'une fusion charnelle?

J'en doute, à voir votre comportement. Dommage. Il n'existe pourtant aucun autre monde dans cet univers où je me sente autant... chez moi, hors le Saint Royaume. Comme tous les autres, d'ailleurs. C'est pourquoi nous sommes tous ici, en fait. Mais, contrairement à eux, c'est pourquoi moi je le défendrais.

Peu importe, je cherchais une façon de débuter cette entrée, au fond. Car j'ai du mal à l'écrire. A simplement continuer ce journal. Pourquoi? Je l'ignore. Peut-être parce que je ne sais pas trop moi-même où il va me conduire. Sûrement quelque part où je ne désire pas aller. Mais tant pis, je l'ai commencé, je vais donc l'achever. Je me le dois, à défaut de le vouloir réellement.

Mais par où continuer? Vous avez déjà l'essentiel des faits, je m'en avise. Décrit fort succinctement, j'en conviens, mais tout y est où presque. Le reste n'a aucun rapport de près ou de loin avec mon châtiment. Seule obsession pour le temps m'a conduit à cet état de fait précis. Le reste... en vérité le reste était la part de moi qui me hurlait de renoncer à cette folie.

Mais je peux quand même vous le raconter. Vous dire que je suis né, tout comme mes frères, à l'instant précis où naissait l'Univers, en son centre exact, là où se tient désormais le seul point d'accès permanent au Saint Royaume. Nous sommes liés à l'Univers, vous voyez? Chacun de nous représente un aspect de la Création. Je suis le Temps. Un autre sera le Feu. Un autre la distance. Et puis il y a ceux qui sont... vous. Vous les appelez vos Gardiens. Et ils sont, oui, les gardiens de vos âmes. Car ils sont vos âmes, leurs incarnations. Ce sont eux qui répondent aux jugements de la Balance. Et qui bien souvent paient également le prix de vos actions.

Peu importe là encore. Je suis le Temps. Et puisque je suis le Temps, je... n'en fait pas vraiment parti. Les Anges sont immuables. Eternels. Mais... mais je suis la faille à cette éternité. Je peux tuer un Ange. Je peux... lui ôter son éternité. Tel est mon pouvoir sur eux. Mais même mes frères de la Balance et de la Faux ne peuvent me retirer la mienne. Je ne peux disparaître qu'avec le temps lui-même. Aussi suis-je libre de m'y déplacer à mon gré. Je peux l'observer à loisir, encore et encore.

Du moins l'ai-je fait pendant longtemps. J'ai arrêté après mon Jugement, et depuis lors votre ligne temporelle est la mienne. C'est déroutant, douloureux parfois, lancinant toujours, mais je ne me suis plus laissé coulé dans le fleuve du temps depuis lors. Mais j'ai beau m'en languir comme un noyé se languirait d'oxygène, je n'arrive tout simplement pas à m'y résoudre. C'est un effet de ma condamnation, je pense. Je me sens indigne de mes pouvoirs. Il me faut regagner le droit de m'en servir en expiant mes fautes.

Mais qu'en était-il quand je vivais au gré du temps? Et bien... Et bien je ne voyais pas les choses de la même façon. Le temps n'existe pas. Pas comme vous le percevez. Même pas comme j'en suis venu à le percevoir. Mais puisque je suis le temps, alors je n'existe pas non plus. Logique non?

J'ai donc longtemps été informe, pure énergie sans réelle envie d'être autre chose. Être contemplatif, je me laissais porté par les vagues miroitantes d'un Univers en cours de Création, porté par des courants n'existant que pour moi. Contrairement à la plupart de mes frères je ne ressentais pas alors le besoin de revêtir la forme dont je savais pourtant déjà qu'elle était mienne. Je me serais senti encombré, croyais-je.

Les choses étaient plus simples ainsi, en vérité, je dois bien le reconnaitre. C'est quand j'ai finalement accepté de... de m'incorporer que tout a changé pour moi. Comme de juste, assez ironiquement, c'est d'une rencontre que tout le reste a découlé. La rencontre des deux autres. Vous la conterais-je? Oui

Mais une prochaine fois. Je vais recourir à l'un des artifices du conteur pour l'heure, un de ceux que j'apprécie le plus. Lequel? A votre avis?

Ezobriel de la Roue, Avril 2011

Très bonne introduction qui fait durer le suspens et tout le mystère autour de cet ange déchu, comme j'aimerais connaître la suite ! J'attends !!!

Poète Messages : 2481 Date d'inscription : 10/11/2010

J'aime ! Superbement bien écrit, d'une voix qui nous envoûte... $J\'aime !$ Bravo !

C'est court !
Grrrrr.....

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