Cet étrange rituel est une sorte d’apothéose pour Kavikawanka, l’instant pour lequel la vie semble devoir être vécue. Pourtant, n’est-ce pas sa propre chair qu’il engloutit ainsi ? Si ! Mais il ne parait pas comprendre que ce fruit que porte en elle la femme est aussi le sien. Peut-être pense-t-il qu’il s’agit d’un évènement sans cause et naturellement spontané comme l’apparition des vers dans la viande ou celle des fruits sur les arbres ! Sûrement méconnait-il tout des secrets de l’enfantement, ne lui a-t-on jamais rien expliqué et de ce fait n’a-t-il jamais fait la relation entre l’acte de pénétrer la femme et de répandre sa semence en son sein et le développement d’un nouvel être. Ainsi le poids de son ignorance le conduit-il à commettre la pire des offenses qu’on puisse faire à la déesse de la vie Mahativatha. En cela, Kavikawanka se comporte en démon et fils de Khatapinahakohata, déesse et dieu tout à la fois de la mort, des tempêtes et du feu de la terre.
Une bonne partie du temps, Kavikawanka s'absente. Poussé par un instinct, les femmes ne savent lequel, et sans que rien ne puisse le laisser présager il quitte soudainement le marais à l’heure du jour ou de la nuit qu’il lui sied. Aucune des femmes ne connait l’endroit où il va. Alors, elles attendent son retour avec angoisse. Et s’il ne revenait pas, elles mourraient sans doute de faim, ligotées à leur arbre, ou plus rapidement de soif, à moins qu’un autre roi crocodile ne vienne prendre sa part de chair, le tribut que celui qu’a tué le maître n’a pas eu le temps de prélever. Par chance, il réapparait toujours avant que le manque d’eau n’ait totalement asséché leurs corps ou qu’un nouveau grand rampant à écailles ne parvienne à elles. Elles seraient presque reconnaissantes dans ces circonstances, lui pardonnant en un sens le fait qu’il les maintienne prisonnières pour ne retenir que les bienfaits que sa présence leur apporte.
Souvent, il dort et dans ce cas, elles restent attachées, mais pas invariablement. Parfois, le sommeil l'envahit alors qu’elles se baignent. Elles pourraient dans ces instants tenter de s’enfuir, mais ne l’osent. La peur qu’il leur inspire est si grande. Si elles venaient à échouer, terrible se montrerait sa colère. Il pourrait les tuer sur le champ ou ne plus jamais leur permettre d’aller librement. Et s’il passait pendant qu'il est endormi ? Voilà l’un de leurs espoirs. Mais non ; ne le dit-on pas immortel ?
Certains soirs, la soif du corps de la femme tourmente Kavikawanka. Alors, il s’avance près de l’arbre et désigne sa compagne pour les heures de la nuit. Parfois, il choisit Mahané, parfois il préfère Mahakana. Jamais son regard ne s’attarde sur Mahina. D’abord, elle en est soulagée, puis peu à peu, avec le temps qui s’enfuit, commence à naître en elle un étrange sentiment qui éveille ses interrogations. Pourquoi son cœur tremble-t-il à son approche ? Pourquoi son ventre devient-il dur et chaud et pour quelle raison cette chaleur gagne-t-elle tout son être ? Pourquoi, lorsqu’il pénètre dans sa case suivant sa belle d’un soir éprouve-t-elle du ressentiment à l’égard de celle-ci ? Pourquoi les gémissements que porte la brise et qui ne ressemblent pas à des cris de détresse où à des appels au secours commandent-ils à ses cuisses de se serrer l’une contre l’autre et au bas de son ventre de se mettre à bouillir ? La nature est plus forte que ses peurs, elle prend possession d’elle et se moque de la honte qu’engendrent ses pensées. De temps à autre, elle s’imagine dans les bras du démon, contre sa peau à l’odeur de fauve, à jamais en sécurité. Elle rêve d’éveiller son amour, de devenir sa compagne. Parfois, elle marche dans la forêt quand surgit un léopard aux dents et aux griffes effilées et qui veut la dévorer. Elle n’est plus que crainte, ses appels au secours semblent s’être perdus dans le vent, à ce moment Kavikawanka surgit et défie le félin d’un cri. Un bref combat s’engage dont il sort vainqueur, tuant ou mettant la bête en fuite. Alors, il regarde Mahina et s’approche d’elle avant de l’enlacer et de l’emporter jusqu’à son abri. Parfois, ce sont d’autres images qui envahissent son esprit, mais toujours le danger la menace et toujours il la sauve. :00103: