Il n'est pas question d'oublier. Le passé, puisque nous l'avons vécu, s'est inscrit dans nos mémoires et ne saurait être remis en cause. Il n'appartient qu'à nous d'en tirer les leçons qu'il faut. Ceci fait, que reste-t-il ? Des souvenirs dérangeants, honteux, douloureux parfois, qui prennent le dessus sur tout le reste. Les rires, le nectar de nos amours, la bière avec les amis, le sourire de maman, les câlins de papa pour les plus chanceux... Exit les doux moments, la culpabilité l'interdit.
Je n'ai foi en rien d'autre que moi, mais puisqu'il faut, parce qu'il faut, je me confesse. Moi aussi, mes souvenirs me traquent. La nuit, lorsque je ferme les yeux, lorsque le silence s'empare de la pièce, je les entends. Ce sont des serpents qui m'enlacent et m'enserrent. Je les nomme Peur, Peine et Remords. Remords me rappelle mes faits et mes non-faits, toute la douleur qui aurait pu être épargnée si j'avais su trouver les mots, les actes ou les personnes qui en avaient le pouvoir. Peine est plus mauvais mais je le combats mieux. On m'a fait fardeau de ce mal et depuis, j'ai appris à le distribuer à mon tour à qui le mérite.
Ce combat de haine n'a que deux issues : la mort ou le pardon. Il faut être juste. Je lui pardonne parfois avec le temps, en gardant à l'esprit ce qu'il est. Je me rappelle ce qu'il m'a fait. Mais quand arrivent les nouvelles années, les vieilles rancœurs n'ont plus de sens. D'autres fois, le passé me rattrape, et Peine avec. Il m'explique qu'elle n'a rien à faire ici et repart avec. Enfin, certains la combattent pour moi. Je crois que c'est le moment que je préfère. Et puis il y a Peur.
Peur sillonne tous les aspects du temps, du passé au futur jusqu'à l'improbable. Elle défend son frère et sa sœur, c'est sans doute la plus grande preuve de famille qu'il m'ait été donné de voir. A peine sont-ils enfouis dans les méandres de ma mémoire que Peur les en déterre au détour d'un mot, d'une parole, d'une image... Donner la vie pour donner la mort, c'est ainsi que je le vois. Car on ne vit pas de ces maux, il faut les annihiler, les détruire entièrement pour finalement n'en garder qu'un tatouage sur l'esprit. Alors je saisis mon Remords et je finis ce que j'ai commencé. Je rattrape ma Peine et je termine le combat. Peur est aussi faible que moi à l'époque de Peine et Remords, et cruelle car elle sait que je gagne toujours contre les siens. Mais toujours elle revient.
Alors j'ai apprivoisé ce serpent, il est devenu un ami fidèle. Depuis, je lui cherche un nouveau nom car il a changé de fonction. S'il enlace mon bras, c'est pour mieux le guider contre sa famille haineuse. S'il enlace ma tête, c'est pour mieux orienter mon regard vers le futur et ne plus croiser leur chemin. Je me rappellerai toujours de qui il fut, et de ce qu'il fit. Son frère et sa sœur n'en finiront jamais de revenir, ni lui de les repousser. Pour le futur, j'ai besoin du passé. Pour le futur, j'ai besoin de Courage.