LE REVE DE MATHILDA
Il est l’heure, Mathilda se lève pour aller travailler. Pas toujours facile ! Parfois elle se sent si fatiguée. Mais ça en vaut la peine, pour l’avenir, les projets avec Raoul.
Ah, Raoul ! D’y penser, un joli sourire lui vient sur les lèvres.
Elle se tourne, le regarde. Il dort si profondément, le visage serein.
Raoul…ses yeux sont emplis de tendresse pour lui. C’est qu’elle l’aime son « homme ».
Trois mois maintenant qu’ils vivent ensemble dans ce petit appartement de la rue Magellan. Un F2 au troisième étage sans ascenseur. Ce n’est pas le grand luxe, mais c’est propre et coquet. Et puis, c’est pour débuter ! Raoul a des rêves d’avenir avec elle.
Avant, elle habitait chez une amie et vivait de petits boulots. Raoul, lui a trouvé ce travail par le biais d’une de ses amies. Ce n’est pas « l’Amérique », elle est souvent épuisée, mais elle gagne bien sa vie ; et surtout elle est heureuse.
Oui, heureuse. Elle pose un baiser sur la joue de son Raoul, plus de temps à perdre, elle doit se préparer.
Du haut de ses un mètre soixante dix et de ses vingt trois printemps, on peut qualifier Mathilda de jolie fille.
Raoul, de dix ans son aîné, est un bel homme brun au teint mat. Et au regard ravageur, se dit Mathilda, tout en prenant sa douche.
Devant son miroir, elle se fait encore plus jolie pour se rendre au travail.
Un joli corsage décolleté mettant ses jolis seins en valeur, une jupe ni trop courte, ni trop longue. Elle enfile délicatement ses bas pour ne pas les mailler. Elle a encore une douce pensée pour Raoul en chaussant les beaux escarpins qu’il lui a offerts.
Un tendre sourire lui vient. Elle a vraiment de la chance se dit-elle, d’être tombé sur cet homme si prévenant et doux.
Du bleu sur les yeux, du rouge sur les lèvres, une touche de parfum. La voilà prête.
Il ne faut pas qu’elle traîne ! Sinon elle va rater le RER. Tout à l’heure, lorsqu’elle aura fini, c’est Raoul qui reviendra la chercher. Vu l’heure, il préfère qu’elle ne rentre pas en transport en commun.
Un baiser sur la bouche de Raoul, une légère caresse sur sa joue et elle se met en route pour le travail.
Trente minutes de RER. Mathilda a de la chance aujourd’hui, elle a une place assise. Elle est vraiment jolie et sexy, et beaucoup d’hommes ont les yeux rivés sur elle. Mathilda n’y prête aucune attention, perdue dans ses pensées. Elle imagine son futur avec Raoul.
De temps en temps, pour qu’elle puisse se détendre un peu, il l’emmène un week-end chez des amis à lui. Une superbe propriété, sur un terrain d’au moins trois hectares. Le grand luxe ! Et tout le confort. La chambre rose leur est réservée, le couple d’amis étant peu présent, Raoul possède les clés du « château ». Il peut y séjourner lorsqu’il le souhaite, même sans prévenir.
Mathilda aime beaucoup se rendre là-bas, se ressourcer et se détendre dans l’immense piscine au milieu du magnifique jardin. Elle a l’impression de prendre un acompte sur la vie qu’elle aura d’ici quelques mois avec son amoureux.
C’est ce que son homme a prévu, dès qu’ils auront mis assez d’argent de coté. Et ça devrait aller vite, Raoul possédant déjà de belles économies, lui a-t-il dit.
Le RER s’arrête, c’est la qu’elle descend. Encore une dizaine de minutes de marche et elle sera arrivée. Elle marche d’un pas alerte. « Madame », sa patronne ne serait pas contente si elle était en retard, et ayant été recommandée par Raoul, celui-ci non plus n’apprécierait pas !
Elle n’aime pas son travail et puis, c’est des horaires de nuit. Mais sa patronne est gentille, et les autres employées la chouchoute, en tant que petite nouvelle. Raoul lui a dit, c’est temporaire. Juste le temps de mettre assez d’argent de coté et ensuite elle trouvera autre chose. Ou alors se dit-elle, peut être Raoul désirera des enfants, et elle restera à la maison pour les élever, lui gagnant très bien sa vie.
Il est dans la protection des personnes lui a-t-il expliqué. Il travaille aussi de nuit, ce qui est pratique pour la reprendre au boulot lorsqu’elle a terminé.
Ça y est, elle est arrivée. Un petit bonjour à tout le monde, un petit café, et c’est parti pour une longue nuit fatigante.
Sept heure du matin, sa nuit est terminée. Elle réajuste ses vêtements, ce remaquille un peu et attend que Raoul arrive, tout en papotant avec ses collègues, devant un bon petit déjeuner que leur a préparé la patronne. Elle est vraiment gentille Madame.
Sept heure dix, Mathilda entend la voiture de Raoul, elle sort le rejoindre.
Au crissement des pneus lorsque celui-ci a freiné, elle ressent qu’il ne doit pas être d’excellente humeur, il semble nerveux. Effectivement, Raoul ne l’accueille pas avec le joli sourire qui le rend si craquant d’habitude.
Il lui ouvre la porte, et le seul mot qu’il prononce assez sèchement est
- « Monte ! »
Mathilda s’exécute un peu déboussolé par ce ton agressif et cette méchante humeur.
Que ce passe t-il donc ? Lui, toujours si doux. Peut-être a-t-il eu des soucis au travail? Elle ne sait pas trop comment réagir, et comme lui, elle ne dit pas un mot tout le long du trajet qui les ramène à l’appartement. On verra bien une fois rentré dans leur petit nid d’amour, peut-être se détendra t’il et tout rentrera dans l’ordre.
Ils montent les trois étages dans le silence le plus total. Mathilda croise le regard de Raoul, il est glacial.
Qu’a-t-il donc ? Que c’est il passé cette nuit ?
Mathilda se pose mille et une questions sans oser demander à Raoul. Il ouvre la porte de l’appartement, laisse entrer Mathilda. Brutalement il lui arrache alors son sac des mains, pour le jeter sans plus de précaution sur le sofa du petit salon. Il l’a saisi par le poignet très fermement, l’emmenant jusqu’à la chambre ; puis la lâchant, il lui vocifère :
-« Reste là ! Compris ! »
Puis il referme la porte de la chambre.
Les larmes sont montées aux yeux de Mathilda. Bien qu’elle en ai envie, elle n’ose pas sortir demander à son homme qu’elle aime tant ce qu’il lui arrive. Elle voudrait comprendre, le consoler si un ennui l’a mis dans cet état, le câliner.
Mais en plus de la tristesse, Mathilda est déboussolée. Et, plus que tout, elle a peur. Peur ! Et elle ne sait même pas de quoi ! Son instinct lui dit que quelque chose de grave va arriver.
Elle attend assise sur le lit. Elle entend Raoul passer plusieurs appels téléphoniques, mais elle n’entend pas ce qu’il dit.
Un quart d’heure plus tard, la porte de la chambre s’ouvre brutalement, et c’est un Raoul qu’elle ne reconnaît pas, les yeux noirs de colère, qui entre dans la pièce.
Du bleu sur les yeux, le premier coup vient de tomber.
Du rouge sur les lèvres, le sang vient de couler.
Mathilda est sous le choc, les coups pleuvent.
-« petite garce »
Raoul empoigne Mathilda par les cheveux et lui soulève violemment la tête vers son visage.
-« Regarde moi dans les yeux quand je te parle ! Compris ! »
Il la repousse fortement en arrière sur le lit. Son joli chemisier s’en est déchiré. Elle pleure.
-« Arrête de pleurer. C’en est navrant d’être si bête ».
Les gifles tombent sans répit. Elle se prend même des coups de poings. Mathilda, le visage tuméfié, est recroquevillée sur elle-même, tenant son ventre douloureux à deux mains. Dans sa tête tout est flou, elle n’essaie même pas de comprendre ce qui arrive à Raoul, elle essaie juste de se protéger des coups que celui-ci lui inflige.
-« Pauvre conne ! Es-tu si naïve pour avoir cru que je t’aimais ? Faut-il être aussi sotte ? ».
Raoul maintient Mathilda allongée sur le lit par ses poignets, d’une seule main. De l’autre, il a pris son joli visage, qu’il serre très fort par les joues. Obligeant Mathilda a le regarder.
-« Tu n’es qu’une pute ».
Mathilda fait un flash back. Deux mois auparavant, cela faisait un mois qu’ils vivaient ensemble dans l’amour et la tendresse. Il leur fallait de l’argent rapidement pour réaliser leur rêve. Ils n’allaient pas végéter plusieurs années dans ce petit appartement.
Alors, Raoul avait réussi à la convaincre de travailler pour son amie, pour Madame.
C’est provisoire lui avait-il dit. Il nous faut plus d’argent, juste cinq à six mois, et ce sera fini. A l’époque, elle avait hésité. Elle ne s’était jamais prostituée et elle était abasourdie par la demande de Raoul. Mais il avait su la rassurer et la convaincre.
-«C’est temporaire. Jamais je ne te le reprocherai par la suite car je t’aime, et je sais que si tu acceptes, ce sera par amour pour moi »
-« Pense à l’avenir, la belle demeure, la belle voiture et pourquoi pas plusieurs enfants. Crois en mon amour Mathilda, fait le pour nous ».
Mathilda avait fini par accepter par amour pour lui. Et aujourd’hui, le voilà dans une rage folle, qui la bât et l’insulte. Pourquoi ? Qu’a-t-elle donc fait ? Il lui avait pourtant promis, jamais il ne reprocherait. Alors, que ce passe t il ?
-« Regarde moi petite pute ».
Raoul serre plus fort les joues de la pauvre Mathilda terrorisée.
-« Tu n’as toujours pas compris ! Ta mère ne t’a donc jamais dit qu’il fallait se méfier des hommes ? ».
Il ricane sournoisement et continu son laïus.
-« Je ne t’aime pas bécasse stupide »
-« Pour moi, tu n’es qu’un outil de travail. Et mon outil de travail ne me rapporte pas assez. Tu te crois en croisière chez Madame. Pour Véronique et moi, tu es comme les autres filles là bas. Tu te croyais ma femme, tu n’es rien, tu entends ».
Il lâche les poignets et le visage de Mathilda et la roue de coups. Elle n’en peut plus. Elle voudrait que ce cauchemar cesse. Elle voudrait disparaître.
Malheureusement, c’est l’enfer qui va commencer.
Les filles de chez Madame Véronique, appartenaient à celle-ci. De ce fait, Raoul devait lui reverser trente pour cent des gains de Mathilda.
-« Tu ne me rapporte rien et en plus je paie pour que tu puisses travailler ».
Un coup tombe encore, Mathilda n’est plus que bleus et meurtrissures.
-« Tu vas apprendre à travailler, je te le dis ».
Elle n’a plus aucune réaction. Elle ne pleure même plus, elle est juste terrorisée et prie pour que Raoul se calme et la laisse tranquille.
Raoul regarde Mathilda droit dans les yeux, un regard dur, sans pitié.
-« Tu vas savoir qui est le patron. Tu crois vivre un cauchemar ? Je vais te mettre en enfer ». Hurle t-il.
-Après ça, tu me supplieras d’être sur le trottoir plutôt que de revivre l’enfer qui t’attend ».
Raoul sort de la chambre. Mathilda à bout de force, l’esprit confus, se demande :
Après, quoi ? L’enfer ? Le trottoir ? Pourquoi ?
Ne m’a-t-il donc jamais aimé ? Tout cela n’était qu’une mise en scène pour la piéger ? Comment ai-je donc pu être aussi naïve ? Aveuglée par l’amour sûrement.
La porte de la chambre s’ouvre. « L’enfer » arrive. Tour à tour, des hommes entrent et violent la pauvre fille. Se permettant pour certains de la gifler au passage.
Trois, quatre…Mathilda arrête de les compter.
Parfois même, ils sont deux à se jeter sur elle. Son calvaire durera des heures, jusqu'à ce qu’elle tombe dans l’inconscience. Elle ne se réveillera que le surlendemain. Méconnaissable, tant son visage est déformé par les coups. Tout son corps a mal, le moindre geste la fait souffrir. Ses parties intimes en ont même saignée par tant d’acharnement.
Raoul est là assis sur la chaise près du lit. Froid, impassible, pas une lueur de pitié dans les yeux pour la pauvre Mathilda.
Elle ne pleure pas, n’y arrive même pas ! Elle ne parle pas, elle ne supplie pas, cela ne servirait à rien, elle l’a compris. Elle est juste renfermée sur elle-même, attendant la suite.
-« Enfin tu te réveilles, tu te crois en vacances ! » ironise t-il.
-« Passons aux choses sérieuses.
De un, tu n’as plus rien, ni papiers, ni téléphone portable. D’ailleurs, tu n’es « Rien ».
De deux, tu obéis, je te protège. Tu vas au flic ou tu essaies de t’enfuir, je te tue.
De trois, rapporte moi assez d’argent sur le trottoir, sinon je réorganise une « petite soirée » comme avant-hier, et cela jusqu'à ce que tu comprennes qui commande ici ».
-« Va prendre une douche, tu commences ce soir ».
Avec beaucoup de peine, physique et morale, elle se lève. Elle se dirige péniblement vers la salle de bain, presque a genou, tant son corps la fait souffrir.
Elle entre dans la cabine de douche, laisse couler l’eau chaude longuement sur son corps. Elle se sent tellement sale, d’une crasse, qu’aucune douche aussi longue soit-elle, ne pourra l’en débarrasser.
Elle est brisée physiquement et dans ses rêves de jeune fille. Toute sa vie vient de voler en éclat, sous l’indifférence la plus totale de cet homme…Raoul !
- Me laver…me laver pour aller « travailler » ! Quel choix !...travailler pour Raoul, qui ne m’a jamais aimée, ne serait ce qu’un petit peu.
- Me laver…
Dans un geste d’une lenteur surprenante, toute la misère du monde sur les épaules, Mathilda attrape le gel douche.
- Aller travailler…
Elle se savonne le plus doucement possible, tant elle a mal, mais très longuement.
- Pour Raoul…Ce monstre !
Elle empoigne le pommeau de douche pour se rincer.
- Naïve…comment ai-je pu être aussi stupide !
Alors, dans un geste de désespoir, elle passe le flexible de douche autour de son cou. Elle fait plusieurs tours et se laisse glisser.
Mathilda n’est plus. Elle a choisi. La mort.
Choix que Raoul n’avait pas prévu.
C’est la fin d’un joli rêve de jeune fille, un rêve plein d’amour, un rêve de bonheur…Mais pour ça, jamais elle n’aurait du croiser Raoul.