A la fin du Second Faust, lorsque le docteur rajeuni qui voulait redoubler d'activité est saisi par les lémures, Méphistophélès s'adresse à leur choeur:
"Aucun plaisir ne le rassasie, aucune chance ne lui suffit.
Ainsi s'efforce-t-il vers les formes changeantes;
Le dernier, le pire, le plus terne instant,
Le malheureux veut le retenir.
Celui qui résista si fort,
Le temps le maîtrise, il gît vieux dans le sable.
L'horloge s'arrête-
Choeur: S'arrête! Silence comme à minuit.
L'aiguille tombe.
Méphisto:
Elle tombe; tout est consommé."
La nuit la plus noire n'aurait pu cacher la sombre procession se dirigeant vers le coeur de la Forêt Noire. C'était la nuit de Walpurgis, la consécration des sorcières et des démons. La terrible nuit où des enfants disparaissaient de leur lit, arrachés à leurs paisibles songes par de gigantesques mains crochues pendant horriblement au bout de monstrueuses ailes sombres comme le cauchemar d'un dieu dément.
Ce soir-là, l'Homme Noir allait présenter sa nouvelle recrue, le docteur diabolique connu sous le patronyme d'Hermann Faust. Une fois la cérémonie achevée, il se ferait appeler Faustus Diabolicus, et accéderait à des pouvoirs infernaux. Il se lierait avec une séduisante succube, et au cours d'un accouplement aussi furieusement sexuel qu'atrocement brutal, il prouverait ainsi à toute l'assemblée qu'il était digne d'accéder au titre qu'il convoitait depuis si longtemps.
Cela faisait plus de trente ans qu'il pratiquait la médecine traditionnelle, lorsqu'un jour de Décembre, il y a maintenant dix ans de cela, il fut visité par un dieu. Celui-ci lui apparut en rêve, au cours de l'expérience onirique la plus traumatisante et puissante de toute son existence. Cela ne devait pas faire plus de deux heures qu'il s'était endormi lorsque son rêve d'une banalité affligeante, même pour un esprit aussi prosaïque et cartésien que le sien, pris une tournure inédite et angoissante.
La plage de sable blanc sur laquelle il était allongé subit une ignoble invasion de milliers de crabes d'un noir plus profond que la plus sombre des nuits d'hiver sans lune. A leur passage, le sable devint rouge écarlate et le docteur se rendit compte que certains s'attaquaient, s'arrachant des pinces ou encore se broyant leur carapace sous de formidables coups.
C'était une procession d'une ignoble lenteur, cela grouillait avec nonchalance et le docteur sentait une malveillance infinie se dégager de certains crabes monstrueusement massifs par rapport aux autres. Il aurait pu jurer en avoir vu un d'une taille équivalente à au moins quatre ou cinq de ses congénères. Et il aurait juré tous les dieux que cet effroyable crabe super massif s'était arrêté devant lui, avait levé ses yeux étrangement humains vers son visage et avait montré la direction de la plage en brandissant une pince horriblement disproportionnée suivant ce qu'elle aurait dû être.
Lorsque le docteur regarda vers la plage, il fut tétanisé par ce qu'il vit. Mais il n'eut pas le temps d'analyser les images imprégnées dans son cerveau car il sentait une myriade de petites pattes grimper sur lui. Il sentit également des dizaines de pinces lui broyer les chairs et tenter d'entrer dans son corps. Et lorsqu'il sentit son abdomen se faire déchirer de l'intérieur et vit une abominable pince noire en sortir il se réveilla en hurlant dans sa sinistre mansarde pourrissante.
Mais le pire fut le souvenir de la chose sans nom qu'il vit sortir de l'eau, et surtout ce qu'elle lui hurla dans sa propre tête en l'appelant par son prénom. Il sut à cet instant qu'une indicible connexion venait de s'établir entre son cerveau humain et des forces absolument intolérables pour la bonne santé mentale de toute chose habitant la surface de cette planète.
Et ce rêve ne pouvait vraisemblablement n'être que le début d'une terrible expérience aux frontières de la vie humaine. Cependant, malgré la sensation latente d'étrangeté et l'impression fugace qu'un danger incommensurable attendait tapi dans l'ombre, le docteur ressentait également une certaine attirance pour ce qu'il pensait être un terrible invitation. La révélation d'un immense savoir était-elle au bout de ce monstrueux chemin pavé de démons et de secrets enfouis depuis des éons ? Pourquoi cette ou ces forces mystérieuses ont-elles décidées d'entrer en contact avec l'humanité ? Pourquoi le docteur ? Dans quel but ? Et surtout quelles conséquences à tout ceci pour l'humanité ?
Enfin, qu'a vu sortir de l'eau le docteur qui a pu l'impressionner à ce point ? Est-ce ce qui lui a été hurlé dans son esprit éveillé prisonnier de son corps endormi ?