J’ai dormi
D’une nuit sans sommeil
Une nuit sans pareille,
Où ronronnaient les fauves
Sous un ciel de sang mauve…
Les fleurs de mon esprit ouvraient leurs gueules blanches
Et du cœur des prairies
Montait un hymne étrange,
Aspirée dans l’effluve d’un mystère
J’ai senti frissonner mes paupières…
Mon œil éteint depuis des heures
S’est alors ouvert
Sur des couleurs impossibles
Des bleus en fusions et des noirs liquides,
Des ors sanglants, orages éclatants
Des verts profonds
Et des violets phosphorescents…
Déployée dans l’interstice étonnant
Qui sépare le rêveur du monde des vivants,
J’ai dormi l’innocence
Détendant tout mon corps
Dans l’apesanteur où s’ignore
Les terreurs mutilées des âmes sous barbituriques,
J’ai dormi l’ignorance
De ces heures tyranniques
Où le temps maltraite les veines scarifiées
Des arlequins déchus, à l’équilibre fracassé…
J’ai dormi
D’une nuit sans sommeil
Une nuit sans pareille,
Arrachant d’une main sûre les bouquets mortifères
Qui tracent entre les songes une mouvante ligne,
Je me suis détournée de la sombre lisière
Et j’ai suivi l’allée de l’aube rectiligne,
Jusqu’à l’éveil.