Je me suis morcelée
C’était il y a des siècles
Unique panacée
Pour réussir à vivre
Schiste fragile
Patiemment édifié
C’était hier
Je me suis effritée
Dissimulée
Je peux à présent regarder
Chaque feuillet livide
Où se saignait mon âme
En lignes impavides
Lentement déchiffrées
C’est un brouillon brouillé
Jauni par le temps
Les pages sont froissées
Ecrites avec mon sang
Je n’ai pu les brûler
Un bureau encombré
Veille mes idées noires
En piles entassées
J’ai forcé des tiroirs
Et j’ai perdu les clés
Depuis longtemps
Fondues et avalées
Puis forgées à nouveau
Sur l’enclume des mots
Une lampe vieillotte
Retient la lumière
Sur une encre pâlotte
Et les serments d’hier
Je suis à quatre pattes
Sous le bureau familier
Pour ne pas voir les piles
De factures non acquittées
Qui attendent patiemment
Que je paie ma défaite
Au Saturne dément
Qui habite ma tête
Je lis sans émotions
Un texte en prose
Empreint de confusion
Et de métamorphoses
Je bute sur les mots
Entretenant en moi
L’écho d’une autre voix
Pressée d’en finir
Je retiens l’émotion
Lorsque je m’interromps
Je surprends le regard hébété
De celui qui écoutait
Et alors je sais
Que j’ai brisé la magie
Que mes mots l’avaient emporté
Dans un temps hors d’ici
Cette écoute sans fioriture
Est un cadeau inattendu
Un espoir si fragile
Un don comme un asile
Si les mots percent la bulle
De l’emprise délétère
Alors je suis l’auteur prospère
Qui brisera les sceaux lugubres
Apposés autrefois
Sur de confortables muselières
Par des muschers sans scrupules.