Je suis une fois de plus de passage dans cette ville imprégnée de souvenirs et d’histoire. J’aime à me promener le long de ses remparts, le visage fouetté par les embruns et le vent du large, j’ai une attirance particulière pour tous les lieux qui rappellent de près ou de loin la culture et les légendes celtiques.
Il me revient toujours des souvenirs d’aventuriers et de corsaires dont elle fut le berceau.
Je me souviens de Jacques Cartier l’explorateur qui découvrit la belle province du Canada, la nouvelle France, sous François 1er.
Les aventures de Duguay-Trouin et de Surcouf, célèbres corsaires au service de sa majesté hantent ma mémoire.
Mais, c’est incontestablement François-René de Chateaubriant qui a le plus marqué mon adolescence.
J’aime, à la tombée du jour et quand la marée le permet me rendre sur le rocher du Grand Bé et observer la mer depuis la dernière demeure de l ‘écrivain.
C’est en revenant d’une de ces promenades que je la vis pour la première fois. Elle était assise là, au pied des remparts, la tête baissée et tendant la main.
Je revins le lendemain de bonne heure et , elle était déjà là. . Elle arrivait dès l’aube, dans le matin blafard, qu’il fasse soleil, qu’il pleuve ou qu’il vente, elle venait s’asseoir au pied des remparts et tendait sa frêle main .
Certains passants, apitoyés lui jetaient une pièce, comme pour se donner bonne conscience, pensant ainsi racheter leurs offenses envers le ciel, au cas où ! Elle dodelinait de la tête en signe de remerciement mais jamais personne ne pouvait croiser son regard.
Quelquefois, je l’entendais fredonner un air qui semblait venir de très loin, sans doute un souvenir d’une autre vie, d’une enfance heureuse. Et, le soir, à la tombée du jour, elle se relevait et partait. J’avais essayé de la suivre de loin mais elle disparaissait dans les ruelles de la ville fortifiée.
J’avais bien essayé d’interroger les gens du cru sur cette étrange femme qui me fascinait, mais personne ne savait d’où elle venait. Elle se confondait dans le paysage, discrète.
J’aurais aimé l’accoster mais une certaine retenue sans doute de la pudeur mêlée à de la timidité m’en empêchait.
Je venais quotidiennement l’observer depuis une terrasse me demandant bien ce qui pouvait pousser cette femme a venir ici, jour après jour. Et, un soir, alors que le soleil embrasait déjà l’occident, j’eus la réponse à ma question.
C’était un jour comme un autre, il ne faisait ni plus froid ni plus chaud que les autres jours. Un étranger s’approchât d’elle et, au lieu de lui jeter quelques piécettes, il déposât délicatement dans sa main une rose blanche. La scène que je vis alors me poursuit encore aujourd’hui. Elle releva sa tête et c’est la première fois que je vis son regard d’un bleu intense. Elle respira le parfum de la fleur et un sourire illumina son visage.
L’étranger qui semblait sortir d’un roman d’une autre époque lui rendit son sourire et disparut comme il était venu.
La mendiante se leva, tenant ce trésor dans ses mains, se fondit dans les ruelles de la vieille ville et je ne la revis jamais.
J’ai mis très longtemps à comprendre ce qui s’était passé ce jour-là. Elle mendiait, mais ce n’est pas de l’argent dont elle avait le plus besoin, c’était d’une attention particulière. Ce qui lui faisait cruellement défaut, n’était pas matériel, elle était en quête d’amour et, cet étranger en déposant dans sa main une rose blanche, lui avait donné ce qui lui manquait si cruellement, un espoir.
Je suis revenue souvent dans la cité corsaire et, personne ne se souvient de cette mendiante et de cet étrange personnage. Sans doute ais-je rêvé ou suis-je la seule à l’avoir rencontrée.
Mais j’ai compris une chose que les mendiants que l’on croise dans nos rues sont en attente d’autre chose que de notre pitié et de notre aumône, et qu’un sourire pour eux, vaut souvent de l’or. Finalement, ce qui importe dans la vie et qui manque le plus cruellement à bien des gens, riches ou pauvres, c’est l’amour.