Le lien a été rompu par je ne sais quel maléfice ou un coup du destin. Et encore je marche seule. Coupée du monde extérieur, isolée dans les méandres de mon esprit affaibli par les hurlements de la tourmente, j’avance péniblement sur le sentier de ma propre douleur. Ô je le connais bien pour l’avoir emprunté mille et une fois lorsque j’accompagnais les âmes déçues, les anges déchus dans leur pèlerinage au retour incertain, sauf que cette fois c’est moi qui foule leurs pas. Je ne suis pas encore totalement sourde pour ne pas entendre tes cris mon ami. Ils sont en vain, je n’ai plus la force ni l’envie d’admirer la mer du haut de ta falaise sacrée sur la terre de nos ancêtres. Eux aussi m’implorent de leurs voix lointaines « Morrigan lève-toi, tu es une battante, une guerrière à la volonté de fer ! Avec ton pouvoir tu déjoues tous les mauvais tours, défais les sorts qui pèsent sur les innocentes victimes ! Brandis ton épée de la justice ! Morrigan relève-toi ! » Ils n’auront que leur écho en réponse, je ne me retournerai pas. Morrigan n’est plus et avec elle, Damona a disparu. Prise de vertiges, je titube et rien est à ma portée pour que je puisse prendre appui, ni personne pour me soutenir. Seuls les airs de ses mélodies éternelles si tristes et si belles s’intensifiant dans ma tête trop lourde pour mes épaules me réconfortent. La magie de leurs notes parées de puissantes vagues d’émotions me soulève et me transporte dans un ultime élan vers l’entrée de son antre, son royaume des ténèbres. J’arrive mon Seigneur. Je suis plus que lasse de cette cruauté qui ronge le monde, l’amertume et le désespoir ont triomphé de moi, j’ai failli à mon devoir. Je viens à vous mon Seigneur car je n’ai plus de rêve à offrir, de mots à partager, de roses à choyer dans le jardin secret de mon cœur. La noirceur s’est éprise de moi et le doute s’en est allé. J’entre. Je traîne ma carcasse couverte de moisissures envahissantes sur mes plaies ouvertes crachant les substances gluantes des dernières révoltes de mon corps. Le mariage de ce poison avec mon sang qui me déserte sous l’accumulation des pressions trop fortes, interminables, fait de moi un sujet de premier choix aisément repérable aux odeurs écœurantes et nauséabondes qui soulèveraient le cœur le plus endurci dans le monde d’en-haut. Ici, c’est mon empreinte, mon identité, mon passe pour les enfers, mon atout majeur pour pénétrer ainsi démunie de tout, pour me présenter devant le Maître et le supplier de me prendre sous son aile protectrice.