Au bout d’interminables minutes dans un silence absolu, le Seigneur des ténèbres se lève pour se diriger vers l’entrée de l’un des multiples passages sur lesquels s’ouvre la salle du trône. Il se retourne sur moi et me demande de le suivre en me jetant quelque chose dans les bras. C’est une simple tunique sombre à enfiler dotée d’une large capuche. Je me hâte de lui emboîter le pas tout en passant par-dessus ma tête ce bout de tissu offert par le Seigneur lui-même. Je me demande si je serais à la hauteur, si je trouverais les forces nécessaires pour le suivre. Rien que le fait de m’être relevée si vite et mise à courir après lui me donne déjà le vertige et la nausée. Je ne voudrais pas le décevoir alors qu’il a décidé de ce qu’il va faire de moi. S’il avait voulu me renvoyer, il ne m’aurait pas invité à l’accompagner dans l’une de ces galeries. Mystère. Je préfère garder toutes les questions qui se bousculent dans ma tête au lieu de les lui poser. Le moment est mal choisi, il pourrait changer d’avis. J’étais tellement absorbée dans mes pensées que je ne me suis pas rendue compte de la légèreté avec laquelle je marchais depuis que j’avais mise cette tunique. Le Seigneur des ténèbres, aurait-il la faculté de lire dans les pensées ? Aurait-il le don de prémonition ? Ou peut-être exercerait-il la magie ? Il est bien le frère de Zeus qui gouverne le Ciel, de Poséidon qui règne sur la Mer ! Et il est le souverain des Enfers qu’il a reçu en partage avec les ombres brumeuses. C’est un dieu ! Et moi une simple âme errante, qu’avais-je donc dans la tête, comment ai-je osé, quel impertinence ! Ô j’ai failli le percuter ! Ô mon Dieu ! Je sens la chaleur montée dans mon corps de morte vivante suivie de frissons par peur de subir son courroux. Au lieu de cela, il m’invite à m’allonger sur le ventre sur une pierre surélevée au milieu de la pièce. Je n’ai pas le choix, un peu anxieuse et en restant sur mes gardes je lui obéis. Je n’ose plus bouger, à peine respirer. Que va-t-il faire ? A-t-il trouvé un autre moyen de se débarrasser de moi ? Et comment ? Vaut mieux ne pas y penser. Il frappe dans ses mains, trois coups, et déjà, des servantes apparaissent prêtes à exécuter ses ordres. Soudain, sans voir ce qui se passe, j’entends le clapotis de l’eau. Le bruit des pas des femmes qui s’agitent dans tous les sens. Aucune d’entre elles ne s’adresse à moi, je respecte leur silence en me demandant ce qui m’attend. Puis, plus rien. Elles ont disparu comme elles étaient venues. Je reste seule avec le Seigneur des ténèbres. Il se penche au-dessus de moi et récite de façon monocorde des psaumes, ou des incantations, ou je ne sais quoi puisque je ne comprends aucun mot qui sort de sa bouche. On dirait presque un chant. J’aime cette voix. Oui, je l’aime. Ô j’aurai aimé l’entendre encore mais il vient de m’ordonner de me dévêtir pour prendre place à ses côtés dans la source chaude qui a surgi de nulle part comme par miracle.