D’autres récits ressemblant à celui-ci content les hauts faits de Kavikawanka, mais ce qui trouble l’esprit sont les rencontres qui n’ont pas été rapportées, les souvenirs effacés de ces témoins de l’existence de Kavikawanka que la mort maintient muets à tout jamais, ces corps que l’on a retrouvé disloqués et en partie dévorés et qui laissent à l’imagination le soin de recréer les évènements qui les a rendus ainsi. En tout, c’est une dizaine de victimes qui sont tombées sous les coups du démon.
Chaque fauve maîtrise son art de tuer, celui de Kavikawanka ne ressemble à aucun autre. La plupart du temps, les chasseurs sont découverts avec les côtes brisées, comme si le torse aurait été écrasé par le poids d’un lourd animal. En fait, un survivant qui a su échapper au regard de la créature et qui l’a vu voler la vie de ses compagnons a révélé de quelle manière s’y est pris le monstre pour le faire. Possédant une vigueur et une vélocité extraordinaires, il lui a été aisé de se défaire des trois hommes sortis depuis peu de l’enfance et venus le défier, c’était une folie, mais l’audace et l’inconséquence qui l’accompagne souvent ne sont-elles pas les éternelles amies de la jeunesse ?
Ils ont repérés sa trace dans la forêt. De là, ils ont suivis la piste, pensant le surprendre, mais c’est compter sans la malice de celui qu’ils traquent. Parvenu dans une clairière, ils sont assaillis par lui qui s’est tenu caché et qui les attend ayant sans doute deviné leurs intentions. Le témoin de la scène n’a que le temps de se jeter dans un fourré où il reste blotti ensuite pendant des heures n’osant plus bouger après ce qu’il a vu. En un instant, Kavikawanka jette les trois amis au sol les assommant à moitié, puis il les attrape l’un après l’autre en passant ses bras autour de leur torse avant de serrer d’un coup avec force, comme le ferait le serpent, mais avec bien plus de violence. Les os craquent et pour certains percent la peau, perforent les poumons. La mort survient dans des râles de douleur. Alors Kavikawanka se repait de la chair de ses proies, arrachant avec les dents des morceaux de viande gorgés de sang encore chaud, déchirant l’abdomen de ses griffes avant d’y plonger sa main pour en extraire le foie qu’il dévore goulument. Puis maculé de sang et repu, il s’en va. L’autre reste là, paralysé par la peur jusqu’à la nuit, à dix pas des cadavres éventrés de ses amis et frères.
Enfin, il se décide et fuit le lieu du carnage. Il court, court jusqu’au village où il est accueilli avec angoisse. Il raconte en pleurant ce que ses yeux ont vu et qu’il se refuse à croire vrai. On attend le matin, car le jour s’en est allé. L’heure de la chasse a sonné pour les grands fauves, il ne fait pas bon courir la forêt dans l’obscurité, même en groupe. Le lendemain, les corps ont disparus, volés par quelque hyène sûrement, seules des traces de sang révèlent le drame de la veille.