Chapitre Deux
- Qui... Qui est là ? demandai-je d'une voix timide.
Pas de réponse. Sauf si on considère que le bruit du vent est une réponse.
- Ohé ! Ce n'est vraiment pas drôle !
Toujours rien.
- Qui que vous soyez, montrez-vous !
- Je suis sûr d'avoir déjà vu ce maillot de bain...
Je sursautai. En me retournant, je découvris un garçon, qui semblait avoir mon âge, extraordinairement beau. Blond avec des yeux très bleus – sacré cliché, non ? - qui semblaient toujours se méfier. Un Clavat.
- Désolé si je t'ai fait peur, mais j'ai déjà vu ce maillot, dit-il d'une voix douce.
- Impossible ! On ne s'est jamais vus ! répondis-je, rougissante, en tentant de contrôler ma voix.
- Ah ? Ce devait être le deux pièces d'une autre Selkie dans ce cas.
Je rougis violemment. J'avais été obligée de voler un maillot de bain à Costa Faguita, ne pouvant pas en acheter.
- Mon nom est Grégory, mais beaucoup m'appellent Greg. Et toi ?
Je fixai son visage quasi-parfait. Quelque chose brillait à la commissure droite de sa bouche. Du cristal...
- Un porteur de cristal... soufflai-je.
Il sourit et caressa le cristal brillant. Je faillis tomber à la renverse tant il était beau quand il souriait.
- Tu ne t'es pas présentée.
- Na... Natacha.
- Très joli. Vraiment.
Je rougis une nouvelle fois.
- Je devrais revenir une autre fois... commença-t-il.
- Non, tu...
Il désigna du menton mes cheveux, enduits de shampoing, que je n'avais pas encore rincés.
- Ah oui... Mais tu peux rester, ça ne me dérange pas...
- Ne t'inquiète pas, va. Je reviendrai.
Il me fit au revoir de la main et disparut comme une ombre dans la forêt vert émeraude. J'avais encore du mal à réaliser ce qui m'était arrivé. Quel garçon... fascinant...
- Bon, Natacha, ça fait trois heures que je t'attends... Oh ! Mais... Je rêve ou quoi ? Tu n'as même pas rincé tes cheveux ! s'exclama Denko, surgissant de nulle part.
- Je... me dépêche...
- Jegran rôde trop près. On va aller se cacher au Vignoble.
- Le Vignoble... Quel Vignoble ? demandai-je tout en rinçant mes cheveux.
- Celui qui est à côté du vieil aqueduc.
- L'aqueduc... ?
Denko fronça les sourcils avant de dire :
- Mais qu'est-ce que tu as dans la tête ? De la compote de pommes ? Le vieil aqueduc de Lett ! Où tu avais failli te noyer !
Cette histoire, je ne m'en rappelle que trop bien. Je peux encore sentir l'eau qui me rentrait dans les poumons.
C'était une journée spéciale chez les Selkies. Chaque année, tous les enfants de sept à dix ans avaient l'autorisation de sortir de la Guilde pour se promener où bon leur semblaient, accompagnés d'un jeune de douze ans. J'avais dix ans à l'époque. Denko, douze. Il m'accompagnait. Je m'étais aventurée jusqu'à l'aqueduc. Il y avait un fleuve qui coulait, le Lett, qui est asséché aujourd'hui. La barrière était trop haute, je ne voyais pas l'eau. J'ai profité d'un moment de déconcentration de Denko pour monter en équilibre sur la barrière, telle une funambule. En se retournant, Denko a crié :
- Descend tout de suite de là Natacha !
Son cri m'ayant surprise, j'ai perdu l'équilibre et suis tombée dans l'eau glacée du Lett. Je ne savais pas bien nager. Je battais des bras pour tenter de garder la tête hors de l'eau, je me débattais. Mais, je sombrais de plus en plus dans le cours d'eau. La suite, je ne m'en rappelle pas : je m'étais évanouie. Denko m'a dit qu'il avait plongé et qu'il m'avait sauvé la vie. Je lui dois tout.
- Excuse-moi, j'étais... dans mes pensées...
- Tu as des pensées maintenant ? Grand moment ! ironisa-t-il.
- Trop drôle, Denko, trop drôle. Mais... Le pont est vieux, non ?
- Il ne risque pas de céder, si c'est ça que tu veux savoir. Ce sont des Selkies qui l'ont construit.
- Tant mieux... murmurai-je. Tant mieux...
Je hochai la tête et saisis la serviette pour me sécher. Qu'elle est douce, cette serviette...
- Où est Jegran, exactement ?
- Ici.
Ce n'était pas la voix de Denko, ni celle de Grégory – qui me manquait déjà. Nous nous retournâmes. Jegran était debout, immobile. Et seul.