Chapitre Neuf
Je caressai la pierre froide du bout des doigts. Oui, c'était bien ma mère qui était enterrée là, sous toutes ces fleurs. C'était elle...
- Elle avait un joli nom.
Je me retournai brutalement et eus un petit soupir d'agacement involontaire.
- Tu as une capacité incroyable à apparaître dans les pires moments, déclarai-je à Grégory.
- Les dieux m'en ont fait don, dit-il avec une pointe de prétention qui me donna envie de le gifler.
Je reposai mon regard sur la petite tombe.
- Je sais maintenant pourquoi tu as dit au garde que tu t'appelais Léléïa.
- C'est Cid qui a eu l'idée... Je me demandais où il avait péché un nom aussi étrange mais quand j'y pense... Je trouve que c'est un prénom absolument magnifique...
- Tu n'aimes pas ton nom ?
- Si mais... Oh, rien... Rentrons.
Je me relevai. Grégory m'embrassa sur la joue. Je restai pétrifiée d'étonnement.
- Désolé ! dit-il. Ça me démangeait !
Il rentra tranquillement au Monastère, sans se retourner pour voir si je suivais. Il m'avait embrassée sur la joue... J'avais encore du mal à croire que c'était bien réel. Aucun garçon ne m'avait jamais fait ça. Tous les garçons de la Guilde selkie me détestaient, allez savoir pourquoi.
Je souris et rentrai à mon tour.
- Bonjour Natacha.
Je m'immobilisai. Cette voix ne m'était pas inconnue et ce fut sans peine que je reconnus son propriétaire, assis sur une tombe.
- Blaze ! m'écriai-je. Comme on se retrouve !
Je m'avançai vers lui.
- Tu n'imagines pas à quel point je suis heureuse de te revoir, ironisai-je.
- Le plaisir est partagé, dit-il d'une voix nasillarde et en souriant de manière arrogante.
Il se leva de son « siège ».
- J'ai fait beaucoup (Il insista sur le « beaucoup ».) de chemin pour te retrouver, tu sais...
Je connais Blaze depuis l'enfance. Fut une époque où il était le maître d'école des jeunes Selkies, mais beaucoup d'enfants s'étaient plaints de lui et de ses mauvais traitements. Vaigali lui avait ordonné de partir. J'ignore pourquoi, mais il a pensé que c'était moi et Denko, mon protecteur, qui étions derrière son renvoi. Depuis cette époque, il n'a jamais cessé de nous nuire.
Blaze n'est pas très grand de taille : il me dépasse à peine bien que nous ayons au moins une dizaine d'années de différence d'âge. Il est d'un blond qui, dans son adolescence, devait être très beau, mais il possédait une telle touffe de cheveux que ce blond en devenait gras.
Les Selkies qui l'ont eu en professeur ne savent que trop bien à quel point il peut être violent : quand un élève désobéissait ou ne connaissait pas la réponse, Blaze le giflait et le regardait pleurer toutes les larmes de son corps. Dans ma classe, quand quelqu'un était frappé, je fermais les yeux et prenais ma tête dans mes mains. A ce qu'il paraît, Blaze riait des enfants qui pleuraient.
Il est donc normal que je l'ai toujours détesté.
- Cela fait longtemps, ajouta-t-il. Je ne t'ai pas trop manqué ?
Je le fusillai du regard, sans rien dire. J'aurais aimé que Grégory soit avec moi. Ses pouvoirs de porteur m'auraient peut-être été utiles.
- Tu étais plus bavarde quand tu avais huit ans ! reprit-il. Enfin, je t'ai vue traîner avec un jeune porteur de cristal (Je me suis demandée s'il avait lu dans mes pensées.).
- Puis-je savoir en quoi cela te concerne, Blaze ? lui demandai-je sans cacher mon agacement.
Il sourit. Oh ! Comme j'adorerais effacer ce sourire cruel et arrogant ! Tout son être se retrouvait dans cet horrible sourire.
- Et bien... (Il s'approcha de moi. Je m'écartai.) Il se trouve que je suis son mentor.
- Tu n'étais pas fichu de gérer une vingtaine d'enfants sages comme des images ! m'emportai-je. Comment pourrais-tu être le professeur d'un garçon comme Grégory ? Il n'a pas besoin de mentor !
- Maintenant, non. Je lui ai tout appris.
Je serrai les poings et contenus ma colère. Je ne suis pas spécialement bagarreuse mais peut-être qu'un bon coup dans la figure lui remettrait les pieds sur terre. Quoique, ce n'est pas sûr...
J'entendis des bruits de pas dans la neige et une voix s'élever :
- Je n'ai jamais eu de mentor, Blaze. Jamais.
Je me retournai. Grégory était là, bien droit, chaudement vêtu. Je soupirai de soulagement. Cependant, une question me vint à l'esprit.
- Grégory, d'où connais-tu Blaze ?
- C'est vrai ! s'exclama l'intéressé. Dis-lui ! Dis-le à ta dulcinée !
Les joues de Grégory s'empourprèrent mais, vu son expression, ce n'était que de la colère.
- Grégory, insistai-je d'une petite voix suppliante. S'il te plaît...
Il fit un vague geste de la main. « Il faut mieux que tu ne le saches pas. » signifiait-il.
- Voyons Greg, dit Blaze en s'adressant à Grégory, qui restait impassible. Je t'ai enseigné le métier.
- Le « métier » - puisque c'est ainsi que tu appelles la tâche de porteur – je l'ai appris seul. Maintenant... (Il se détourna de lui.) Va-t-en.
Blaze haussa les épaules et ajouta :
- Bien, mais avant, je voulais dire à ta fiancée...
- Ce n'est pas ma fiancée !
Je jetai un regard oblique à Grégory. Blaze continua sans se soucier de sa remarque :
- Jegran souhaite que je la ramène de force au Palais lilty.
Une boule de feu apparut dans sa main gauche. Son œil droit se mit à briller d'une très forte couleur rouge. Oh non... Il ne manquait plus que cela...
- Ne t'approche pas d'elle, murmura Grégory d'une voix menaçante.
- Blaze... Depuis quand es-tu un porteur ? dis-je d'une voix blanche.
- Depuis longtemps ma chère. J'ai bien fait de ne jamais utilisé mes pouvoirs devant toi, quand tu étais petite. Ainsi, l'effet de surprise était conservé... jusqu'au bout...
Grégory se posta devant moi et me poussa vers le Monastère. Je ne bougeai pas. Je ne voulais pas l'abandonner encore une fois, comme je l'avais fait à la gare Rougefeuille.
- Va te mettre à l'abri !
- Non. Je...
Le Clavat soupira et créa un immense bouclier bleu transparent au moment où Blaze lança des boules de feu. Il semblait user de beaucoup de force et d'énergie pour maintenir son système de protection.
- Tu sais courir vite ? me demanda-t-il, des gouttes de sueur perlant à son front malgré les basses températures.
- Oui.
- Et éviter des projectiles aussi ?
- Oui. Aussi.
Il me regarda. J'avais compris le plan.
Je me mis à courir vers la gauche du jardin enneigé. Blaze me suivit du regard et me lança une vague de lave. Je roulai et percutai une tombe. Du sang coula de mon front. Je n'y fis pas attention et repris ma course. Je jetai un rapide coup d'œil à Grégory. Il faisait léviter des objets au-dessus lui. Des statues en pierre, des bancs... Le plan allait fonctionner.
Mais je n'aurais jamais dû le regarder : quand je tournai la tête vers Blaze, il était trop tard. Je me pris la petite boule de feu en pleine poitrine et tombai dans la neige. J'avais du mal à garder les yeux ouverts et à respirer normalement. Blaze m'avait coupé le souffle. Il s'approcha de moi, l'air triomphant. Il semblait avoir oublier l'autre porteur de cristal derrière lui. J'eus un bref sourire. Blaze reçut tous les objets que Grégory lui envoya dans la tête et il se retrouva coincé sous un amas de neige. Je me redressai péniblement. L'endroit où j'avais été projetée était rouge. Mon front saignait encore.
- Natacha, attends...
Grégory déchira un bout de sa chemise blanche et l'appuya sur ma plaie. L'hémorragie n'était pas très forte mais elle fut assez longue. Nous restâmes ainsi, assis l'un contre l'autre dans la neige, la main de Grégory posée sur mon front pendant un quart d'heure.
Je me mis à grelotter. Rester assise dans la neige n'était pas vraiment mon fort. Grégory retira la compresse et utilisa la neige pour l'humidifier. Puis, il essuya le sang qui avait séché sur mon front. Nous nous relevâmes. J'étais transie de froid. Enfin... Surtout mes jambes. Le Clavat me prit dans ses bras et, presque instantanément, je cessai de trembler. A croire qu'il n'avait pas que le pouvoir de la télékinésie mais aussi celui de réchauffer... Il me posa son manteau sur les épaules, sans rien dire. Nous n'avions pas parlé durant ce long quart d'heure et il ne semblait pas vouloir commencer. C'est donc dans un silence glacial que nous rentrâmes.