Journal d'un Déchu (4)

Quatrième entrée.

Nous sommes trois. Je l'ai déjà dit, plusieurs fois, mais je vais encore le répéter. Nous sommes trois. Nous sommes les trois forces interconnectées qui rendent possible l'existence de cet Univers. Les trois Piliers de la Création. J'ai déjà mentionné Izakiel de la Balance. Je dois encore vous présenter Enaël de la Faux. Elle est la seule dont l'essence soit féminine de notre étrange trinité. Elle est... celle que j'aime, si un principe aussi simpliste peut s'appliquer ici.

Oubliez ici l'Amour tel que le chante vos troubadours depuis que l'homme est homme. Oubliez tous les lieux communs et toutes les platitudes que vous connaissez sur le sujet. Oubliez-même toute idée d'Amour charnel. C'est au delà de ça. L'amour que je lui porte appartient au royaume de la nécessité la plus absolue. Sans lui je serais toujours cette pure énergie contemplative. Sans lui je ne serais pas là en train de vous en parler, puisque je n'aurais pas commis l'erreur m'ayant value cette condamnation.

Car il fallait que la Roue aime la Faux. Il fallait que le Gardien de l'Eternité soupire après l'Incarnat de la Mortalité. Sans ça... sans ça je pourrais préserver n'importe qui de sa main. Songez-y. Il n'y a, n'y aura jamais, qu'une seule et unique cause de mortalité en cet Univers: le temps. Si on arrête la Roue alors on retient la main qui manie la Faux. J'ai ce pouvoir. Alors il fallait qu'une de mes premières priorités soit de préserver la mort.

Donc l'Univers a décidé que je serais amoureux d'Enaël. Dans sa grande mansuétude, il a cru bon de faire en sorte qu'elle me le retourne, cet amour, même si il m'a fallu renoncer à la contemplation pour qu'elle en prenne conscience.

C'était longtemps après la Création. Je connaissais son existence, bien sûr. Je savais même à quoi elle ressemblait. J’étais ce que j'avais besoin d'être, je savais ce que je devais savoir. Mais, allez savoir pourquoi, ce jour-là nous devions nous rassembler. Nous, les trois Piliers. Le pourquoi importe peu. Je ne veux pas ici vous troubler avec des considérations inutiles. Disons simplement que nous avions une décision à prendre, en commun.

Mais dès l'instant où elle est apparue -il fallait que ce soit eux qui me rejoignent, vous comprenez, je ne m'étais jamais déplacé depuis l'instant de ma naissance-, dès cet instant le pourquoi de sa venue n'avait plus la moindre importance. Vous l'auriez trouvée belle, vous aussi, elle avait déjà cette apparence humaine qui est notre forme principale. Mais ce n'était pas là ce que je voyais.

Non, j'étais indifférent au rideau de jais de sa chevelure, imperméable à l'azur de ses yeux, aveugle à la plénitude des courbes de son corps parfait. Non, en vérité je ne voyais qu'une chose. Son âme. Sa détresse. Sa solitude qui faisait si odieusement écho à la mienne. Et elle ne posait sur moi qu'un regard indifférent voir même un peu méprisant.

"Qu'est-ce donc que ça? C'est là l'Ange de la roue, cet amas d'énergie inerte? Pathétique." Voila ce que je pouvais lire dans son regard. L'aurais-je découvert dans d'autres yeux, ce sentiment, que je m'en serais moqué. Dans les siens... Dans les siens il m'a semblé que l'univers tremblait sur ses bases. Et quand Izakiel à son tour nous a rejoint, que j'ai senti son agacement, que je l'ai vu poser sur Enaël un regard qui disait l'amour que lui aussi éprouvait pour elle... Je ne pouvais plus esquiver. J'ai pris forme physique pour la première fois de l'histoire de l'Univers.

J'ai déjà dit une fois, en passant, qu'aucun de nous trois n'avait pris part au conflit qui a déchiré notre peuple. Mais ce jour-là, nous avons failli déclencher une autre guerre, plusieurs millénaires avant celle dont je parle. Lui et moi. La balance et la roue ont failli se combattre. Oui, immuable ne rime pas avec sagesse, et nous avons les mêmes sentiments que vous. Mais...

Mais la guerre s'est révélée inutile. Pire, nous avons compris que nous ne pouvions pas nous permettre de nous combattre. Mais il a fallu qu'une étoile meure pour que nous l'acceptions. Aujourd'hui encore j'entends le fracas de fin du monde qui a précédé la chute de cette géante bleue, son chant de mort. Avez déjà entendu une étoile hurler à la mort? Je ne vous le souhaite pas. Il n'y a rien de plus affreux à entendre dans l'univers. Mais il n'y a aussi rien de plus beau.

Peu importe. Aujourd'hui j'ai honte de cet instant de haine pur et intense qui nous a jeté l'un contre l'autre ce jour-là. J'en ai d'autant plus honte que nous avions été réunis pour être les témoins d'un acte divin. Pour assister à la naissance de la vie sur un monde orbitant autour de l'étoile en question. Une naissance qui, par notre faute, n'aurait jamais lieu, puisque le monde en question n'existait plus.

Mais cette honte est née quand j'ai regardé Enaël après. Que j'ai vu les larmes dans ses yeux. Vous lui donnez souvent l'apparence d'un être insensible, voir même prenant plaisir à sa fonction. Vous... Nombre d'entre vous l'imagine comme un squelette vêtu de haillons noirs et maniant la faux avec une perversité malsaine. Mais en vérité il n'y a pas d'être plus empathique qu'Enaël de la Faux. Pas d'être plus compatissant. Et ce sont ses larmes qui nous ont fait comprendre la folie de nos actes à mon frère et à moi.

Il n'en reste pas moins que nous étions devenu des rivaux. Et que nous allions le rester encore longtemps...

Fascinant, j'adore !

Poète Messages : 2481 Date d'inscription : 10/11/2010

Oui, fascinant ! $J\'aime !$ Sourire fleur

Science-fiction mystique, c'est ainsi que je qualifierais cette oeuvre très stylisée...

Yes, yes !

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