Ton fils
Voici que l’heure de transmettre ton savoir est venue.
Appelle ton fils ! Il joue dans la rue.
À présent qu’il est dans ta cour,
Fais-le venir près de toi,
Et alors que son attention te sera toute acquise,
Explique-lui en quoi consistera son héritage.
Comme tous les pères, tu connais les travers du monde,
Les secrets rouages qui en font un lieu redoutable,
N’aie donc pas de retenues
Et révèles-en, pour lui, toute la cruauté,
Afin qu’à ton image, ton fils perpétue la guerre.
Celle que commença l’aïeul de ton père
Lorsque ses voisins vinrent dans son village
Et repartirent en emportant un sac de fourrage.
« — Par Dieu ! Pour chaque grain, une vie ! »
Avait-il promis, et tout son peuple avait applaudi.
Depuis, chacun de sa descendance
A à cœur d’assouvir sa vengeance.
Maintenant que ton temps approche de sa fin,
C’est à ton fils que revient l’honneur de recevoir ce legs.
Plonge donc sans retenue dans le cœur de ton petit garçon
Et insuffle en lui le souffle de la colère et celui de la haine !
Vante-lui les héros,
Les martyrs vénérés que la mort a emportés !
Désigne-lui qui sont les rivaux qu’il se devra d’affronter,
Ceux-là mêmes qu’un autre Dieu mauvais a mis sur la terre
Dans l’intention de nuire à ton peuple.
Parle-lui de ton Dieu vengeur !
Celui qui se repait de terreur
Et qui a su dresser en toi tant de forteresses !
Lorsqu’il aura fait siennes tes idées,
Celles léguées par tes aînés,
Et que la bienséance interdit de remettre en cause,
La vérité prenant toujours sa source dans le lointain,
Alors, ton fils sera prêt.
Dès lors, complète son apprentissage de combattant !
Déjà, depuis qu’il est petit enfant,
Tu lui enseignes à lancer son poing,
À tendre son pied vers l’avant,
À frapper comme le bélier,
À faire de ses bras des serpents
Qui étouffent comme un étau la gorge.
Toutes les ruses de la lutte et du corps à corps,
Tu lui as inculquées.
Il est fort, courageux et ne craint pas la mort.
Aussi, il est temps !
Apprends-lui à aiguiser les lames d’acier,
Celle de son couteau, de son glaive, de sa machette !
Montre-lui le maniement des autres armes,
Le geste perforant qui droit au cœur guide la baïonnette,
De quelle façon l’œil trace la ligne de mire du fusil,
Comment se calcule la courbe de l’obus du mortier !
Transforme-le en un érudit des choses de la bataille,
Du guet et de l’embuscade !
Ainsi tu seras libéré de la promesse faite à ton père
Qui te condamnait à faire don de tes heures, de ta chair.
Ainsi tu pourras plonger ton regard apaisé dans l’eau de l’étang
Quand n’en remonteront pas les preuves de ton ancienne sauvagerie.
Ainsi tu pourras prendre plaisir à contempler l’horizon le soir tombant
Lorsque n’y danseront pas les ombres accusatrices de tes souvenirs.
Ainsi, tu pourras te retirer dans ta maison et dormir en paix
Les nuits où les fantômes de tes crimes t’en laisseront le loisir.
Ainsi, tu pourras pleurer dans la solitude de ton esprit
En priant ton Dieu sourd de préserver ton petit,
Des dangers que tu sais toujours présents,
De ceux qui conduisent à gonfler les torrents de sang
Qui font la fortune des marchands.
DRK