Le repas simple, mais copieux, redonna des couleurs au jeune homme qui, depuis son départ, ne s’était nourri que de pain sec et de quelques baies ou pommes cueillies en chemin.
À peine le repas terminé, comme sa curiosité était piquée au vif, il s’empressa de tester les clefs dans les différentes serrures. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir que chaque pièce était une véritable caverne d’Ali Baba ; derrière la première porte se trouvait rassemblée toute l’argenterie du château, la seconde salle contenait des monticules de pièces d’or, la troisième cachait des coffrets emplis de perles fines, la quatrième n’était autre qu’un écrin géant pour rubis. Au fur et à mesure de ses explorations le jeune homme allait d’émerveillements en éblouissements, les portes abritaient des joyaux de plus en plus précieux ; dans la dixième salle, la dernière qui lui était autorisée, brillaient des diamants.
Deux portes, ce soir là, gardèrent leur mystère, car le vieil homme n’avait pas remis à son hôte le trousseau complet.
Que pouvaient contenir de plus précieux encore les dernières salles ?
L’esprit du jeune homme était incapable d’imaginer plus de richesses qu’il venait d’en voir.
Devant ce mystère, et toutes les questions qui venaient troubler son esprit, le jeune homme ne parvint pas à dormir de la nuit, et ce malgré le confort de son couchage.
- À quoi pouvaient servir ce trésor ?
- Pourquoi cette abondance de richesses ne rendait-t-elle pas le vieil homme heureux ?
- À quoi bon posséder tant de « biens » et vivre seul, dans un château sombre et humide qu’un feu de cheminée ne parvenait même pas à réchauffer ?
Peut-être que le fait d’ouvrir ces pièces chasserait le trouble qui commençait à s’insinuer dans son esprit. Il regrettait presque la chaleur de sa vieille maison où les veillées étaient si douces entre ses parents au cœur débordant de bonté.
Le lendemain matin il remercia le vieil homme de la confiance qu’il lui avait accordée et lui signala qu’il manquait deux clefs au trousseau.
- Les deux dernières salles me sont réservées, dit le vieil homme, les ouvrir maintenant ne t’apporterait rien. Reprends des forces, nourris-toi, repose-toi, tu en as besoin !
- Mais…commença le jeune homme.
- Mais ? Crains-tu de t’ennuyer ? Dans ce cas plutôt que de me questionner inutilement va voir mes brebis, cela fait si longtemps que je ne les ai pas sorties ; elles ne connaissent plus le goût de l’herbe verte des prés. Tu peux les conduire partout, mais je te conseille d’éviter la montagne aux fées, même si la végétation plus tendre que partout ailleurs attire les bêtes. Tu n’y rencontrerais pas des fées mais des sorcières. Elles sont trois et se jouent des hommes, crois moi, je sais de quoi je parle, ces trois furies m’ont arraché la vue !
Le jeune homme glissa une flûte à sa ceinture, saisit un bâton et alla au bercail où l’attendait le troupeau. En marche vers les pâturages, le berger se demandait bien pourquoi il n’irait pas vers la montagne aux fées, il ne trouvait que des bonnes raisons pour occulter les conseils de son hôte. Il était sans crainte. Les bêtes, elles, étaient fébriles et affamées, après tant d’années de privation elles méritaient d’être conduites dans un pré où l’herbe était réputée être grasse, tendre et abondante. Peste soit des recommandations qui sèment le doute dans les esprits !
C’est ainsi que les brebis purent s’en donner à cœur joie, aucun animal n’éprouva le besoin d’aller chercher fleurette plus douce dans un pré voisin, et le berger, lui, put s’asseoir tranquillement à l’ombre d’un arbre. Il sortit sa flûte et entama un air joyeux….c’est alors qu’arrivèrent, sans doute attirées par la musique, trois belles jeunes filles, elles se mirent à danser frénétiquement. Après une première danse, elles hélèrent le jeune homme.
- Eh, joli pastoureau, on aimerait jouer avec toi si tu acceptes notre défi !
Tu vas jouer de la flûte et nous nous danserons. Si tu tiens le rythme plus longtemps que nous, ton désir le plus cher sera exaucé, si c’est nous qui gagnons, tu devras nous céder tes yeux.
- Je suis d’accord, répondit le berger qui dans son village n’avait pas d’égal dans l’art de la flûte, mais il se garda bien de le dire aux danseuses.
S’ensuivit une folle sarabande ; le garçon soufflait, les fées dansaient…il joua de plus en plus rapidement, les fées suivirent le rythme…un temps, mais bientôt elles montrèrent des signes d'épuisement que le jeune homme ignora, il joua avec plus d'entrain encore. Elles en avaient pourtant de l’énergie les diablesses, mais elles ne pouvaient rivaliser avec l'énergie du garçon qui avait tout à gagner et un monde à découvrir !
- Arrêêête…on n’en peut plus ! supplièrent-elles à bout de souffle. C’est à peine si elles parvenaient à parler.
- Je ne cesserai de jouer, Mesdemoiselles, que si vous me redonnez les yeux de mon père. Vous le connaissez je crois ?
- C’est ça ton désir le plus cher ? demandèrent les sorcières étonnées.
- C’est mon désir, vous n’avez pas à discuter ou à tenter d’en connaître la raison. J’ai relevé le défi, je l’ai gagné, vous devez exaucer mon désir aussi étrange soit-il.
- En effet, gémirent-elles, alors va près du vieux chêne, tu apercevras une grotte, c’est notre demeure. Les yeux que tu cherches sont sur l’étagère transformés en oranges. Emporte-les et donne-les à ton père, quand il les aura mangées, il recouvrira la vue. Par contre en entrant chez nous, reste silencieux, n’effraie pas nos enfants, ils risqueraient de prendre peur et le Diable seul sait ce qu’ils pourraient faire.
Aussitôt ces paroles entendues, le berger partit… il courut jusqu’au chêne, se précipita vers la grotte, toujours courant, il entra le plus bruyamment possible, frappant le sol et criant. Il saisit les deux oranges et sortit, continuant de pousser des hurlements à s’en arracher les poumons. Les enfants des sorcières, réveillées n’eurent même pas le temps de voir qui était entré, elles se mirent à hurler à leur tour et dans un mouvement de panique elles sautèrent dans le feu où elles se consumèrent comme de simples brindilles !
Un peu plus tard quand les sorcières arrivèrent chez elles, elles retrouvèrent leurs petites filles carbonisées…toutes sorcières qu’elles étaient elles en ressentir une intense douleur…
- Malédiction, crièrent-elles, nous avons tellement semé la terreur que nous voilà horriblement punies ! Il ne nous reste plus qu’à fuir cette grotte de malheur !
Toutes trois partirent…en les voyant de loin, on ne reconnaissait plus les jeunes filles agiles qui si joliment dansaient, le chagrin les avait métamorphosées en vieilles femmes. Sans doute marchent-elles encore, car leurs petits pas fatigués ne purent les conduire dans aucun lieu où la danse est possible.
(à suivre)