Le voyage dura quelques jours ; des chevauchées entrecoupées de nuits à la belle étoile…enfin, après une halte particulièrement éprouvante à cause de la faim, qui toute la nuit lui tenailla le ventre, il décida qu’il était temps pour lui maintenant de choisir son futur lieu de vie. Une ville attira fortement son regard ; une ville fortifiée posée dans une vallée d’ocre, elle semblait enluminée par la magie du soleil couchant. Le cavalier demanda à son cheval ailé de s’approcher, de survoler discrètement la citadelle… il remarqua un parc magnifique où régnaient des arbres plus que centenaires ; c’est là qu’il demanda à son cheval de le déposer. Au milieu des arbres sentinelles se dressait un manoir, au dessus de la porte principale, le jeune homme reconnut les armoiries de son père adoptif.
Ainsi, il se trouvait une nouvelle fois sur les terres de son beau-père !
Se pourrait-il que la fille du roi habite en ce lieu ?
Le vieil homme lui avait souvent parlé de sa fille, dont il vantait les qualités et la beauté. Elle n’aimait pas l’isolement du château où vivait son père et préférait la vallée de xxxxx
Le jeune homme se sentit en sécurité, il décida de rester ici et renvoya son cheval.
- Reprends ta liberté, lui dit-il, va où bon te semble. Je garderai de toi ces quelques poils et, lorsque j’aurai besoin de ton aide, je t’appellerai.
Il faisait déjà nuit, le jeune homme se pelotonna sous un buisson et s’endormit.
Le lendemain matin des exclamations le réveillèrent :
- Un vagabond ! Un vagabond tapi dans le jardin du Roi ! Sors de là, montre-toi !
Le garçon sortit de sa couchette de fortune. Devant lui se tenait un homme, une bêche à la main, il était vêtu d’un tablier de jardinier, à ses pieds, des sabots. L’homme avait pour tâche d’entretenir le domaine, il s’en acquittait fort bien ; la végétation, magnifique dans ce jardin, appréciait ses soins. Des curieux il en avait vus, car nombreux étaient ceux qui voulaient admirer son parc, mais jamais il n’avait vu quelqu’un oser venir s’installer sous son Oranger du Mexique – d’où son courroux !
Le jeune homme dégagea légèrement sa capuche, laissant voir sa chevelure d’or et ses yeux incandescents…le jardinier, lorsqu’il aperçut le visage du jeune homme, laissa tomber sa bêche, il resta un instant sans voix, puis il se mit à rire, d’un rire sonore et franc.
- Ha, ha, ha, une tête d’angelot et des habits de mendiant ! Ha, ha, ha…une peau aussi lisse que celle d’un enfant et des yeux de fauve en furie…n’aie crainte, je ne te mettrai pas en cage !
- Excusez-moi, Monsieur, si je vous ai effrayé. Ne vous fiez pas à mes vêtements, et surtout, surtout, ne me chassez pas. J’implore votre aide ! Comme vous le voyez, vous n’avez rien à craindre de moi. Prenez-moi à votre service en échange de nourriture ; je peux me contenter d’une bouchée de pain, de quelques fruits et d’un peu d’eau. Je risque de mourir de faim si je ne m’alimente pas maintenant.
Le jardinier était un homme de cœur, il consentit à garder le jeune homme, il le surnomma « Angel », en souvenir de la première impression qu’il avait eu en le voyant.
Angel devint donc le commis du jardinier, avec lui, toute la journée il bêchait, sarclait, émondait, arrosait…La nuit il dormait dans une cabane qu’il avait construite entre les branches d’un cèdre, il aimait le contact avec la nature, le parfum de la végétation endormie…il aimait aussi la vue qu’il avait du château !
Parfois le soir, dans l’encadrement d’une fenêtre, il apercevait la fille du roi ; elle admirait le parc et regardait les étoiles avant de s’endormir. De sa cabane, Angel l’observait…et il se surprenait à rêver.
Un soir, alors qu’il contemplait en silence la jeune fille, il eu le désir d’être vu en retour, il ne pouvait plus continuer à être les yeux de la nuit, un observateur de l’ombre. Il fallait que la princesse le voie tel qu’il était vraiment. Le matin même, ils s’étaient croisés au détour d’une allée, mais la jeune fille n’avait pas daigné lever les yeux sur un jardinier vêtu de guenilles ; Angel en avait été attristé pour la journée.
Au crépuscule le jeune homme alluma une lampe, il brûla à sa flamme un des poils du cheval ailé. Aussitôt son ami se matérialisa. Angel ôta ses vêtements de misère, il sauta sur l’échine de l’animal fantastique et se mit à galoper sur la pelouse.
La princesse était à sa fenêtre. Quel ne fut pas son étonnement de voir apparaître sous les rayons lunaires, un bel homme resplendissant de lumière et chevauchant Pégase ! Elle se demanda si elle ne rêvait pas, mais quand elle vit le jeune homme se diriger vers la cabane du vagabond et disparaître dans l’ombre du cèdre ; elle sut, à ce moment précis, qui il était.
Le lendemain matin lorsque le jardinier du Roi vit ses plates-bandes et sa Roseraie saccagés, il explosa d’une colère inhabituelle. Rouge d’indignation, il accusa son commis d’avoir manqué de vigilance. De sa cabane, n’était-il pas aux premières loges pour surprendre le misérable qui avait massacré les parterres !
- Chenapan, est-ce ainsi que tu surveilles le jardin, les fleurs sont écrasées comme si un cheval les avait piétinées ! N’as-tu donc rien entendu ?
- Un cavalier est venu, Monsieur, mais je n’ai rien pu faire, il est passé tel l’éclair.
La princesse, qui avait entendu les cris, s’approcha. Non qu’elle s’intéressait aux querelles des jardiniers, mais elle trouva l’occasion idéale de rencontrer le commis qu’elle n’avait jamais regardé de jour.
- Pourquoi accusez-vous votre commis ? Si vous avez subi des dommages, prenez cette bourse, achetez les plans dont vous avez besoin pour refaire vos platebandes et gardez le reste de l’argent pour vous.
Le jardinier retrouva son calme, la bourse semblait bien pleine, il pourrait réparer les dégâts et réaliser un bénéfice. Finalement, cette mésaventure, à première vue contrariante, lui sera profitable.