Ma vie en cinq sec (7)
Je me suis retrouvé seul… vraiment seul ! Seul à longueur de journée dans cette maison trop grande dont je n’occupais bientôt plus que les pièces du bas ; dans laquelle, la nuit, j’entendais les fantômes de ma vie chuchoter et traîner des choses sur le plancher de l’étage, juste au-dessus de ma tête. Ils ne me faisaient pas peur, ils n’ont rien à me reprocher, peu de choses en tout cas. Puis petit à petit, ils ont cessé leurs bruyantes manifestations et ont disparu. Peut-être me suis-je simplement adapté à la solitude, je ne sais pas.
La dernière fois que j’ai vu mes filles, c’était à l’enterrement. Auparavant, elles venaient de temps à autre pour voir leur mère, mais elles s’arrangeaient généralement pour se déplacer à des heures auxquelles elles avaient la quasi-certitude de ne pas me trouver là. À l’heure de l’apéro du dimanche le plus souvent. Maria me disait : « Tiens, Machine est passée tout à l’heure ». Qu’est-ce que j’en avais à foutre ! Elles n’ont jamais pu m’encaisser. C’est un peu par ma faute, remarquez. J’avais la main légère et l’injure facile. Pour moi, elles n’étaient que de petites pisseuses, elles le sont toujours. Au cimetière, à peine le cercueil eut-il touché le fond qu’elles disparurent. Lorsque je relevai la tête du trou, je me retrouvai dans un désert de croix et de pierres tombales enneigées avec pour unique autre présence humaine, celle de mon fils effondré, debout derrière moi. Perchés sur le mur du cimetière, deux corbeaux nous surveillaient. On aurait dit de loin qu’ils parlaient de nous ce qui me fit penser qu’il s’agissait sans doute des âmes de ma mère et de Maria. Connement, je leur ai fait un signe de la main et ils se sont envolés comme s’ils m’avaient assez vu.
Quand je dis que je n’ai jamais revu mes filles depuis ce jour sombre, ce n’est pas tout à fait exact. Elles étaient là lorsqu’il s'est agi de passer devant Monsieur le Notaire. Les garces ! Y avait peut-être bien un petit magot à récupérer, devaient-elles s’être dit. Pas de bol, elles sont reparties de là en tirant une tête de six pieds de long. Tout revenait au dernier vivant et le dernier vivant, présentement, c’était moi. Harrison, lui ne s’était pas donné la peine de se déplacer. Je crois que cet hypothétique héritage ne lui faisait aucun effet. Mais bon, ça n’en fait pas un saint pour autant. Si les filles sont des pisseuses, lui est un branleur de première. À la différence de ses sœurs, il me rend souvent visite, jamais sans arrière-pensée je dois l’avouer. Ce qu’il apprécie le plus en moi et qui lui fait aimer ma compagnie est que chaque fois il peut se permettre de me taper un peu de fric au moment de partir. Jamais de grosses sommes. Cinquante, cent euros. De quoi passer quelques jours tranquilles et payer ses clopes ou ses joints. Je sais qu’il fume cette merde, je m’en balance, je serais mal placé pour donner des leçons dans ce domaine, comme dans tous les autres d’ailleurs. Je me ferai l’effet d’être le type du sketch de Coluche. « GERAAAAAAAARD !!!!! » Qu’est-ce qu’il m’a fait marrer ce mec lorsque j’étais plus jeune, pourtant, pas trop avec cette histoire. Pas toujours évident de se voir en décalqué. Pour en revenir à mon fils, avec moi, il finit toujours par obtenir ce qu’il veut. Il a sa technique. Il squatte chez moi jusqu’à ce que je ne supporte plus sa présence, généralement, ça ne dépasse pas trois ou quatre heures, bien qu’une fois, un jour où j’avais décidé de ne pas me faire avoir, il était arrivé le matin, je l’avais laissé poireauter jusqu’au soir, m’absentant à plusieurs reprises. Lui, pas du tout décontenancé, avait patiemment attendu mon retour à chaque fois devant ma télé, affalé à ma place dans mon canapé, en sirotant mes bières qu’il avait été cherché dans mon frigo. Dans le genre envahissant, on fait difficilement pire. À la fin, je lui ai refilé un billet de cent et dans la minute qui a suivi, il avait disparu. Heureusement que ses vaches de sœurs, grosses vaches même, de plus en plus semblables à leur mère au fur et à mesure que le temps passe, il ne leur est pas venu à l’idée d’user de procédés identiques, ça finirait par me coûter vraiment cher. Non, elles, elles attendent le moment où je vais calancher pour ramasser le magot. Elles ne sont pas complètement connes. Salopes, oui, mais connes, certainement pas. J’ignore comment elles l’ont découvert, mais je sais qu’elles sont au courant pour mon héritage. Par contre ce que personne ne leur a dit, c’est que j’ai tout craqué en soirées arrosées, en fêtes de poivrots, en putes de tous genres, non, pas en travelos, ni en pédés, pas trop mon genre tout ça, mais en femmes de tous genres, grosses, maigres, belles, laides. Quand t’es bourré, l’apparence, tout ça, tous les trucs qui te font mettre de côté les gens lorsque tu es à jeun n’ont plus de réelles importances. Là, pour peu que tu puisses te coucher sur un ventre, le reste n’a pas une grande importance.
Si les femmes étaient aussi promptes à écarter les pattes que les hommes le sont à dégainer, la vie serait bien moins compliquée. Seulement, voilà, il faut qu’elles gardent leur petit trésor bien à l’abri entre leurs cuisses serrées, même si le petit trésor en question les démange autant que notre appareillage à doubles roulettes. C’est sur ces choses que la pression de la société est la plus lourde, sur les histoires de sexe. Imaginez que trois ou quatre flics un peu bourrés choppent une collègue de boulot qui paye un pot de départ, la passent sous la douche toute habillée et en profitent pour lui peloter les nichons, et ça y est, ça fait la une des journaux. Dans ce monde qui part en breloques, on a vraiment plus que ça pour s’offusquer. Cinglés ! Un monde de cinglés ! C’est dans ça qu’on vit. Il faut qu’on se hisse au-dessus de tout, de nos petits pets, qu’on taise nos défécations, qu’on se cache pour pisser, « oh là là, j’ai vu le pipi du monsieur ! vite ! Appelez la police ! » Il faut que l’on fasse de nos bas instincts de grands sentiments, tout le monde nous le répète à longueur de jour. Et merde ! Pendant ce temps-là, les compagnies pétrolières peuvent bien chier partout où elles installent leurs puits, leurs plateformes, leurs oléoducs, sans un geste pour les populations locales, tout le monde s’en branle ; des tas de sociétés industrielles, de laboratoires pharmaceutiques, peuvent bien inventer toutes sortes de produits qui apportent plus de désagréments que de satisfaction aux populations, quand ils ne les flinguent pas directement ou à petit feu, ce n’est pas grave ; des groupes financiers peuvent bien plonger des pays entiers dans le marasme économique, provoquer des famines, la ruine de gens, rien à foutre ; mais qu’un type montre son zizi en pissant contre un poteau, qu’un autre traverse en dehors des clous, qu’un troisième fasse un bras d’honneur à un fonctionnaire de l’état, à un élu, alors là ! Faut pas déconner ! Toi, tu vas prendre mon gars !
DRK