Assise au bord de ce monde en ruine je contemple la solitude lui tomber dessus comme un voile funeste. Les hommes on cessé de penser pour se tourner vers l’Intérieur. La collectivité disparut au profit d’une caste d’intellectuels. Je me souviens des jours lumineux où nous étions libres de penser, de disserter sur tous les sujets importants : politique, social, retraites, terrorisme. J’en oublie, moi-même étant passée par un de leur centre. Pourquoi ai-je réussi à leur échapper ? Comment croire que je sois la seule à avoir un esprit suffisamment puissant et indépendant pour les contrer ?
Comment tout cela a-t-il pu se produire dans un monde démocratique ? Le jour où la Russie a vendu des missiles à l’Iran sous prétexte de protéger les usines soviétiques implantées là-bas, la chancelière allemande Merkel, en-dehors des caméras lors du voyage officiel de Vladimir Poutine, lui fit comprendre qu’il ne fallait pas prendre l’Union Européenne et les Etats-Unis pour des crétins. Mais Poutine étant ce qu’il est, les missiles partirent pour l’Iran.
Au même moment, l’Amérique se devait de prendre des précautions face au géant rouge et leur montrer qu’elle ne se laisserait pas impressionner. Un immense bouclier anti-missiles fut alors développé dans toute l’Europe et jusqu’à certains petits pays de l’Est.
Inévitablement, une nouvelle Guerre Froide éclata entre cette fois les trois superpuissances, bientôt suivie par de réelles menaces d’invasions et de bombardements nucléaires sur des villes d’Europe et des Etats-Unis. L’Iran, quand à lui, en fâcheuse position entre les sanctions économiques de l’Europe (en cas d’entente durable avec la Russie) et les menaces de retrait des usines soviétiques (en cas d’entente inverse avec l’Europe) (celles-ci leur apportant argent et protection) se tourna vers la Corée du nord et reçu un soutient tacite de la Chine. La Troisième Guerre Mondiale n’avait jamais été aussi proche, jusqu’à ce qu’une nouvelle race d’êtres apparut. Personne ne savait d’où ils venaient, qui ils étaient ni ce qu’ils escomptaient de nous.
Ils prirent le pouvoir en un temps record. Avant que nous ne nous en rendions compte, la Corée du nord fut rasée, la Chine envahit par des Ombres et l’Iran n’apparaissait plus désormais sur les cartes géographiques. Comment cela a-t-il pu se produire sans que nous ne réagissions ?
Au début ils prirent le pouvoir démocratiquement dans tous les pays d’Europe. Ils relancèrent l’économie mondiale, la politique sociale n’avait jamais été meilleure dans le monde, et plus aucun pays n’eut un comportement belliqueux à l’égard de son voisin. Le monde était enfin en paix.

Puis certains cherchèrent à comprendre leur origine. Alors des gens disparurent. Il régnait dans le monde une torpeur surnaturelle. Les débats étaient mous et pacifiques à vomir, le travail était devenu le meilleur ami de l’homme, il n’y avait plus un seul chômeur dans aucun pays du monde. Les gens dormirent de plus en plus, les médecins firent faillite car personne ne tombait plus malade, les journaux mondiaux ne relataient plus aucun évènement intéressant, et l’art ne comportait plus rien de subversif.
De plus en plus de personnes furent employées à la construction de gigantesques pyramides faites d’un matériau apporté par ceux de l’Intérieur, comme on les appelait. Ils rouvrirent les camps de travaux forcés. Les procès politiques se multiplièrent. Nous nous serions cru de retour sous un régime stalinien. Cependant, une différence notable apparut : il n’y avait aucun camp de la mort. Pas de fusillés ni de déportés. Mais certaines personnes disparaissaient. Leur famille recevait un jour une lettre des disparus leur expliquant que tout allait bien et que ces camps étaient la meilleure chose qui leur soit arrivée depuis longtemps. Ces lettres rappelèrent aux historiens spécialistes des guerres de bien mauvais souvenirs.
Evidemment les gens étaient manipulés, le monde appartenait à ces Ombres venues un jour où la fin de notre civilisation fut plus proche que jamais. Leur hégémonie perdura si longtemps que nous finîmes par oublier leur présence. La manipulation ne fut jamais aussi forte que quand les gens eurent l’impression de ne jamais mourir et de se réincarner dans la génération d’après. L’esprit humain n’accepta pas cette réalité biaisée et se rebella. Le terrorisme frappa les pyramides noires au hasard. Les Ombres entrèrent alors en guerre contre l’humanité. Les Etats-Unis furent écrasés, l’Europe mise sous contrôle et le reste du monde trop dévasté pour représenter une menace concrète.

Le temps passant, les Ombres relâchèrent leur étreinte. De plus en plus de gens sortirent alors d’une léthargie qui leur sembla avoir duré des siècles. L’influence néfaste s’étiola. Le monde qui restait debout se rendit compte qu’il avait été manipulé à un niveau jamais atteint. Ce fut alors qu’une résistance s’organisa. Les hommes découvrirent que les Ombres avaient perdu de leur influence car elles regroupaient leur puissance. Dans quel but, ils ne le surent pas avec certitude. Ils purent alors découvrir l’horrible vérité : s’ils ne tombaient plus malades, s’ils ne se souvenaient pas de la dernière fois où ils avaient été malheureux ou encore de ce qu’était la douleur, enfin s’ils avaient l’impression de ne jamais mourir c’était parce que c’était la vérité ! Les Ombres, venues d’au-delà de la Ceinture de Kuiper, là où se forment les comètes, avaient apportées avec elles la technologie du contrôle de l’esprit et de la chair.
Cette région de l’espace, au-delà de tous les télescopes et satellites, était de tous temps restée interdite aux habitants de la Terre. Mais des formes de vie bien différentes des nôtres proliféraient et construisaient des ponts reliant leurs planètes. Car au-delà de la ceinture d’astéroïdes, un monde inconnu et terrifiant se mettait en place. Les civilisations se développaient, les technologies s’affinaient pour devenir ce que l’Univers connu de plus avancé.
Pourtant, ces formes de vie sans source de lumière n’étaient pas de nature belliqueuse. Elles ne cherchaient aucunement à sortir de leur ceinture, elle les protégeait. Elles ne voulaient pas conquérir, écraser, épuiser les ressources d’autres planètes et d’autres peuples. Pourquoi alors ont-elles fait ce que je fus témoin ici ? Pour nous protéger, même si je sais que cela vous semblera absurde.

Juste avant l’entrée en Nouvelle Guerre Froide, les Chinois avaient réussi à envoyer dans l’espace une fusée qui serait, dans un futur inaccessible avant des centaines de générations, capable d’atteindre la périphérie de cette terrible ceinture d’astéroïdes. Embarquant un impressionnant dispositif numérique permettant l’exploit de capturer images et vidéos dans un environnement aussi glacial et inhospitalier, nos lointains descendants auraient découvert ce qu’il y avait au-delà. Ces étranges formes de vie n’ont pas voulu cela. Elles savaient que les hommes et femmes qui auraient vu ces images auraient été rendu fous sur l’instant. Les Ombres décidèrent alors d’envahir notre civilisation.
Elles commencèrent à nous étudier et décidèrent de ne pas seulement nous cacher les preuves de leur existence. Elles voulurent également nous apprendre à mieux gérer notre planète et nos existences. Finalement, pour nous protéger de la folie et de nous-mêmes elles nous ont plongés dans la nuit.

Le centre de leur pouvoir fut établi au sommet de la plus ignoble des Tours Métalliques que les Ombres firent construire plus tard aux humains sous leur contrôle. Haute de plusieurs dizaines de kilomètres et large d’autant elle portait en son faîte un mécanisme dégageant sur l’ensemble de la planète une vibration que les hommes n’entendaient ni ne sentaient. Des milliers de tours identiques mais plus petites furent érigées de par le monde. Chacune relayait ces maudites ondes qui mentalement nous gouvernaient. À l’instar des ultrasons pour les chiens, cette vibration nous rendait dociles et apathiques. Totalement contrôlables.

Mais les Ombres frappèrent de nouveau. Sans véritable raison. Elles réunifièrent les continents en une Néo-Pangée monstrueuse où elles parquèrent les hommes en les obligeant à vivre ensemble. Cependant leur contrôle ne put altérer au fond de l’esprit humain le sentiment de rébellion lorsque tous les peuples sont confrontés à un ennemi commun. Cela commença lorsque les premiers humains capables de se détacher de ce contrôle firent leur apparition. À l’insu des Ombres des naissances se produisirent. Un nouvel espoir se profilait. Malheureusement les Ombres ne furent pas dupes longtemps. Leur volonté de nous protéger de la mort et de la folie alla jusqu’à rendre nos femmes définitivement stériles, afin que les naissances accidentelles ne se reproduisent plus. Elles furent emmenées dans les Tours Métalliques et l’utérus leur fut enlevé. Après ça rien ne pouvait plus être entreprit par les hommes pour changer leur monde. Ils se résignèrent et se laissèrent terrasser.
Les Ombres, ne comprenant pas ce comportement, furent désappointées. Malgré leur avancée technologique impressionnante elles ne comprenaient rien aux désirs humains. Elles comprirent alors que les hommes auraient préféré devenir fous de terreur face à la réalité de ce qu’il y a au fond de leur univers plutôt que d’avoir une réalité masquée. Ils préféreraient sûrement se détruire eux-mêmes plutôt que d’être contrôlés.

Les multiples tentatives d’insurrection furent écrasées tellement violemment que les humains n’avaient plus la force de se battre. Les Ombres se rendirent compte qu’elles détruisaient le genre humain en lui enlevant la liberté de le faire de lui-même. Nous devenions tels des plantes sans source de soleil. Un état communiste hypertrophié avec à sa tête un Staline immortel.
Finalement, voyant l’espèce humaine dépérir sur cette Néo- Pangée délétère, les Ombres éteignirent leur machine de manipulation infernale. L’Humanité se réveilla alors définitivement. Lui fût montré la réalité qui leur avait été si douloureusement voilée. Et inévitablement les Hommes devinrent fous, refusant ce qu’ils accusèrent une fois de plus d’être de la manipulation. Mais les armées du monde avaient été vaincues depuis si longtemps que le mot lui-même était devenu à peine plus qu’un murmure inaudible. Les différentes insurrections furent repoussées trop durement. Les humains ne voulaient plus se battre. La folie les gagnait. La folie de ce qu’ils avaient vu sur les millions d’écrans géants dans leurs villes sombres, lorsque les Ombres leur montrèrent ce qu'il y avait derrière leur ceinture d'astéroïde.

Il se passa alors une chose que les Ombres auraient dû anticiper. Un évènement qu’elles auraient dû réprimer. Les humains capables de ne pas subir leur domination avaient développé un pouvoir particulier une fois La Machine éteinte. Leur esprit fut tellement tourmenté qu’il fut poussé dans les limites de la vie. Une évolution anticipée émergea et certains devinrent puissants. Ils s’exercèrent clandestinement à leurs pouvoirs. Masquant leurs regroupements par la force de leur esprit, ils devinrent si puissants qu’un jour ils attaquèrent de front la Grande Tour Métallique. Un million d’hommes et de femmes sur les huit milliards d’êtres humains prirent d’assaut la forteresse. L’entourant de toutes parts, ils se concentrèrent et la firent exploser avec leur esprit. Pour se protéger ils créèrent un champ d’énergie repoussant les gravats retombant sur eux. Nombre de villes furent détruites.

Malheureusement, une fois l’édifice anéanti tout espoir quitta définitivement les humains. Car sous les décombres du combat les Ombres renaquirent tels de noirs phénix et la bataille la plus impitoyable de l’Humanité se produisit. Ceux qui n’avaient pas mutés furent détruits. Seul ce million de monstres humains survécu. Les Ombres furent obligées de prendre forme physique et les mutants se trouvèrent en face d’entités de plus de dix mètres de hauteur. Leur puissance était inconcevable mais la résistance tint bon. La plupart des villes restantes furent détruites, les mers et les océans bouillirent et s’évaporèrent sous la puissance psychique du combat. Celui-ci dura des mois. Les combats faisaient rage sur toute la planète. Les morts furent innombrables chez les hommes. De leur coté, lorsqu’elles tombaient, les Ombres se relevaient.
Au final, terrassés par le désespoir et un ennemi insurmontable, les humains s’effondrèrent. Quand le dernier fut vaincu dans les ruines de Prague, les Ombres réfléchirent aux conséquences de leurs actes. Elles de nature si peu guerrière se dirent que pour sauver les hommes elles les avaient détruits. Prenant conscience de cela, elles en vinrent à la conclusion qu’elles auraient dû laisser faire les choses. Les hommes seraient devenus fous mais qu’importe, elles auraient continué de vivre en paix, protégées par leur ceinture d’astéroïdes.

Survolant les cités en ruines elles en éprouvèrent un immense chagrin. Maintenant seules sur ce rocher stérile, elles n’avaient d’autres choix que de repartir dans leur monde. Elles n’avaient pas voulu ce qui s’était produit. Elles n’avaient pas mesuré leurs actes. Mais quoi de plus normal pour une force et une intelligence si différente de la notre.

Puis un jour elles s’arrêtèrent au dessus de l’ancienne Saint-Pétersbourg, quelque chose attirant leur attention. Des cris. Une femme courait en tenant un bébé dans ses bras. Elle avait vu les Ombres et prise de panique tentait de se réfugier dans une carcasse d’immeuble. Mais les Ombres la suivirent. Une dizaine ayant pris forme physique se tenaient en face d’elle. Elles regardaient la femme de leur hauteur vertigineuse. Celle-ci avait peur pour son bébé et les Ombres le sentirent. Elles s’approchèrent et aussitôt la femme fut enveloppée de leur aura. L’esprit de l’Ombre la plus gigantesque pénétra en elle. Elle vit alors ce que ces créatures pensaient.
Tout lui fut révélé. Elle tomba à genoux et lâcha son bébé sous la puissance spirituelle qui l’envahissait. Ce dernier ne toucha pas le sol et fut emporté à l’écart. Mais la femme ne s’en souciait plus désormais. Son esprit était connecté à celui de l’Ombre et plus rien ne comptait. Elle se tint la tête pour ralentir les convulsions. Ses yeux se révulsèrent et les Ombres eurent peur qu’elle ne survive pas. Elle ferma les yeux et fut pliée en deux vers l’arrière.
Elle vit la fusée chinoise foncer vers les confins de l’Univers et filmer et photographier ce qu’il y avait au-delà. Ce dans quoi notre Univers était contenu, ce dont étaient faites ses limites. Elle se mit à hurler telle une damnée. Elle vit la ceinture d’astéroïdes derrière laquelle vivent les Ombres. Elle sut pourquoi elles migrèrent pour la Terre dans le but d'empêcher ses habitants d'accéder à une connaissance qui les aurait anéantis. Elle comprit aussi pourquoi les Ombres étaient intervenues pour nous éviter une dernière guerre mondiale. Elle vit la construction de la grande pyramide noire et ce que contenait son faîte, la machine pour contrôler l’esprit des humains. Et enfin l’éradication de la race humaine par peur de leur puissance. Finalement, les Ombres avaient eu peur des humains qui avaient mutés et elles s’étaient battues pour leur propre survie.
Mais leur façon de concevoir, de penser et d’anticiper étant bien différente de la notre elles prirent de mauvaises décisions et en arrivèrent à l’esclavage au lieu de nous laisser vivre. Après tout, si nous devions nous détruire, n’était-ce pas notre droit ? Elles avaient enlevé aux humains jusqu’à la jouissance de leur propre mort. La femme comprit qu’elles regrettaient ce qu’elles avaient fait et ne savaient pas comment revenir en arrière. De plus elles se demandaient ce qu’une femme seule et son bébé faisaient ici. Elles avaient anéanti la totalité de l’espèce humaine, elles en étaient sûres. La femme leur demanda alors pourquoi elles survolaient les villes et à la recherche de quoi ? Devant cette question inattendue, les Ombres se concertèrent. Elles ne savaient finalement pas elles-mêmes ce qu’elles cherchaient. Sans doute la providence en la personne d’un seul survivant.
Elles sondèrent alors l’esprit et les souvenirs de la femme pour comprendre. Lorsque la bataille commença elle s’était enfuie avec son enfant. Le père était parti au combat. Il faisait parti des mutants. Il avait péri avec les autres. Elle avait survécu grâce à son bébé et à ses pouvoirs. Il était la dernière évolution de la mutation humaine. La forme de vie la plus puissante de l’Univers, bien plus terrible que les Ombres elles-mêmes. Mais n’étant qu’un nouveau-né, il n’était capable de rien volontairement. Sentant sa mère en danger il avait provoqué une protection infrangible. C’était ce qui les avait maintenus en vie.
Les Ombres comprirent alors que cet enfant serait capable de redonner naissance à l’espèce humaine par ses capacités sans limites. Elles l’emmenèrent alors avec elles au-delà de la Ceinture de Kuiper et l’instruisirent de la connaissance de l’Univers, de son histoire et de son devoir de recréer le monde des humains. Sa mère fut emmenée également car les Ombres ne souhaitaient pas briser ce lien. Elles avaient recréé là-bas une atmosphère terrestre afin d’assurer leur survie. Ils ne manquèrent jamais de nourriture, d’eau ou encore de chaleur.
Quand l’heure fut venue le jeune homme que les Ombres avaient nommé Samuel se projeta de lui-même sur la Terre. Et grâce à ses capacités il recréa les océans et les mers, érigea de nouvelles montagnes et rendit la vie au cœur mort de la planète. Il recréa les animaux et les plantes, rendit la vie aux forêts et quand tout cela fut accompli il redonna naissance aux hommes.
Lorsque tout fut terminé il fit revenir sa mère et fit ses adieux aux Ombres. Il n’avait plus besoin d’elles à présent. Il leur conseilla seulement de le laisser faire à l’avenir. Les humains vouèrent un culte au Dieu Samuel et le polythéisme ne réapparut jamais plus. Les humains étaient heureux car ils savaient que quelqu’un veillait sur eux.

Lorsque la mère de Samuel mourut au terme d’une existence étrangement longue pour une humaine il ne put lui redonner la vie. Une incommensurable stupeur fit peu à peu place à une colère sans nom dans son esprit. Ses capacités n’étaient-elles pas sans limites ? Il avait recréé le monde et il ne pouvait pas redonner la vie à sa propre mère ? Il parti alors dans les cités des Ombres pour s’enquérir du dernier savoir qu’elles lui avaient visiblement caché. Mais il ne rencontra que ruines et déserts arides. Les Ombres étaient parties depuis bien longtemps. De rage il annihila toutes les comètes et les petites planètes autour de lui. La Ceinture de Kuiper s’évanouit dans le silence intersidéral.
De retour sur Terre il contempla le monde des hommes avec ennui. Il était le Dieu Samuel et la tristesse et la solitude lui rongeaient le ventre. Il décida alors de descendre parmi les humains et de se mêler à eux comme il le faisait souvent, sous différentes formes. Animal, insecte, star du cinéma ou homme politique. Il affectionnait d’ailleurs particulièrement cette dernière, pouvant ainsi contrôler le monde et maintenir la paix. Mais lorsqu’il revint parmi eux il cessa de régner, laissant le monde et les hommes se gouverner eux-mêmes.
Il trouva une femme et lui fit plusieurs enfants. Mais à mesure que le temps passait il se laissa corrompre par la vie des humains et en oublia ses capacités. Lorsqu’inévitablement le monde s’embrasa de nouveau sous la folie des hommes il ne put rien pour empêcher la catastrophe, car il était devenu humain lui aussi. Il tenta seulement de protéger sa famille mais seule une de ses filles survécut.

C’est alors qu’une mystérieuse et puissante guilde formée d’élites mondiales pris le contrôle et décida de faire penser aux humains ce qu’il était bon pour eux de penser. Il n’y eu aucune violence, seulement de la manipulation mentale. Des lavages de cerveaux à la chaîne. J’en ai vu qui en étaient à leur dixième pour les plus récalcitrants. Ils sortaient sur des chaises roulantes, vomissant un liquide orange et regardant le ciel avec une lointaine folie extatique.

J’en ai subi une trentaine mais ils ne m’ont jamais arraché mon âme. Ils ne savaient pas qui j’étais ni qui était mon père. Ses gênes étaient en moi et toutes leurs machines infernales ne pouvaient rien contre ma volonté de rester indépendante. Mes capacités n’étaient pas encore totalement développées et je devais rester dans l’ombre afin de me préparer. Lorsque j’aurais eu la puissance suffisante j’aurais pris le contrôle de leurs machines pour montrer aux humains ce qu’était réellement le monde dans lequel ils vivaient.
Je leur aurais appris que tout pouvait être différent, qu’il était possible de penser par soi-même et de sortir du lot. Il restait peu de temps avant que la plupart des gens ne soient devenus définitivement des zombis. Ils auraient fini par les tuer si je ne faisais rien. Mais il me fallait attendre. Et lorsqu’enfin je serais prête, je libérerais les esclaves et détruirais cette maudite oligarchie. Même si l’être humain était constamment voué à se détruire je devais le faire pour la mémoire de mon père. Pour tout ce que les Ombres lui avaient appris.

Mais rien ne se passa comme il l’aurait fallu. Je ne fus pas prête à temps. N’ignorant rien de mon futur échec je me suis lancé à corps perdu dans cette bataille condamnée d’avance. J’ai donné aux gens un faux espoir et nombreux sont morts en se battant à mes côtés. Pour rien. La Guilde des Elites s’était tournée vers l’Intérieur, une nouvelle drogue de synthèse décuplant l’esprit et la force physique. Elle produisit des machines à tuer dotées d’une exceptionnelle intelligence. Il y eu des pertes effroyables dans notre camp. Mais dans le leur aussi.
Cette drogue avait des effets inattendus sur l’organisme. Le poussant bien au-delà de son maximum, le cerveau se liquéfiait au bout de quelques jours. Quand au corps toutes les articulations lâchaient. Les os se brisaient comme du verre. Finalement, ils nous écrasèrent mais leur arme provoqua leur extinction.
Les villes furent détruites, les gouvernements écrasés, les populations massacrées. Le monde après ça ressemblait à une vaste terre stérile. Plus rien ne semblait pouvoir y pousser ou y vivre. C’est alors que les Ombres revinrent. Elles ne furent pas surprises de ce qu’elles virent.
Elles m’expliquèrent qu’elles avaient quitté leur monde pour essayer de vivre loin de leur chagrin d’avoir provoqué la chute du nôtre même si elles pensaient pouvoir le sauver. Elles me consolèrent, voyant que je pleurais, en me disant que jamais rien n’aurait changé la nature des humains. Elles étaient revenues car elles avaient senti ma puissance à travers l’Univers. Elles développèrent mes capacités à leur maximum et s’apprêtèrent à partir quand l’une d’elles se retourna et s’approcha de moi. Elle me confia que leur retour avait une autre raison. Elles voulaient me dire qu’elles avaient compris quelque chose de fondamental : si je voulais faire le bien de l’humanité je ne devais pas la recréer.
Lorsqu’elles furent reparties pour un voyage au-delà de notre univers, afin de reconstruire leurs cités de glace, je me suis retrouvée assise au bord de ce monde en ruine, contemplant la solitude lui tomber dessus comme un voile funeste.