16. Où le Germain se retire
J’aurais pu profiter de la présence de Fred pour me faire conduire. Je l’avais envisagé ; mais il m’aurait fallu faire assaut d’arguments et d’adresse pour le convaincre de bouger ses fesses ; de l’adresse, j’en étais un peu dépourvue depuis qu’il m’avait annoncé la date de son départ. C’est vrai, je dois le reconnaître, il avait été honnête. Une fois passé le premier élan, sur le canapé, puis le deuxième, dans la chambre, puis… une fois sortis de la torpeur de la nuit, puis… une fois pris le premier café…puis…bon, une fois que je l’eus sommé de m’affranchir sans me ménager, il m’avait donc balancé sans ménagement la vérité (le ménage de toute façon ça a jamais été trop son truc). Il n’était pas venu pour que je le récupère mais parce qu’il éprouvait à mon égard une inquiétude qui, si elle n’en était pas moins sincère, s’était rapidement muée en intérêt pour mes miches puis en désintérêt tout court, comme au temps bénis de nos amours…Nos vieilles habitudes n’étaient cependant pas revenues tout de suite, il m’avait semblé particulièrement affamé et friand des douceurs que j’avais à lui offrir, et pour ma part j’étais ravie de cette opportunité .Pour tout dire je trouvais beaucoup de charmes à ses déclarations enflammées d’amitié sur canapé…
Je bénéficiai encore pour un jour encore de sa présence et j’avais décidé d’attendre qu’il ait vidé les lieux –et mon frigo avec – pour partir à la rencontre de l’inconnue de la clé. En attendant nous passions du temps ensemble et étonnamment je trouvais agréable ces échanges sans but réel ni objectif spécifique. Pour la première fois nous n’attendions rien de particulier l’un de l’autre et nous échangions sur tout, films que nous avions vus, sa vie là-bas, la mienne ici-bas, avec une liberté de ton toute nouvelle. Cette complicité nous apaisait l’un et l’autre, et d’un commun accord nous évitions tous les sujets qui auraient pu blesser, tels que le mariage, les enfants, les études, le boulot. Il ne restait peut-être pas grand-chose mais avec ce pas grand-chose nous parvenions à filer de drôles de conversations, drôles et légères.
Pour tout dire, ce nouveau Fred allait bien plus me manquer que l’ancien mais un reste de dignité m’empêchait de le lui monter.